Des mots aux mille histoires

Ne vous ai-je jamais raconté cette fameuse journée d'exposition d'art et de littérature qui se déroulait au Havre il y a quelques semaines ? Je m'en vois navrée. Vous savez, avec mon mécène, je n'ai pas beaucoup de temps à passer dans les salons de thé. Il est très gentil et nous nous entendons bien, et il est même devenu un très grand ami. Mais lorsqu'il s'agit de parler de travail il est très exigeant et fait tout son possible pour que je puisse atteindre mes objectifs. Quelques jours plus tard à quelques heures de l'exposition je me rendis en train jusqu'au Havre, une ville que je n'avais jamais visitée auparavant. En arrivant sur place, je fus déçue de voir l'état dans lequel elle se trouvait. L'arrivée de l'industrie et la modernisation de son port de commerce a rendu la cité normande brumeuse et le temps maussade ajoutait une ambiance triste, presque parfaite pour trouver de l'inspiration.

Il était midi lorsque j'étais arrivée et je devais déjà me préparer pour les festivités qui avaient lieu le soir même. Quelle joie, je vous assure. J'aurai sans doute préféré être là avec vous, dans ce salon de thé à vous parler des derniers potins concernant Madame Lefebvre qui trompe son mari avec Monsieur de La Rosière, mais je vous raconterai ça plus tard. Pour cette soirée "d'exception", je m'enveloppai d'une de mes plus belles robes. Il s'agissait là d'une robe inspirée de la mode victorienne, d'une couleur bleu nuit. Je portais en haut un corset -dieu que je déteste cette chose-- entrelacée de ficelles dorées, ainsi qu'un jupon bouffant de la même couleur. Des bottines plates en cuir et une besace venaient parfaire le tout. J'étais prête, mais j'étais nerveuse. Vous savez, même si je n'essaye pas trop de me mêler à leurs histoires; m'associer à tout ce monde a parfois tendance à m'agacer. Les hommes et les femmes de la haute ne font que parler des autres, et me donnent l'impression d'observer des combats de coqs à savoir qui est le plus riche. Ce qui me désole encore plus, c'est qu'ils commencent à déteindre sur moi. Avec tout cet attirail à porter, vous vous doutez bien du temps que j'ai pu mettre.

Les heures étaient vite passées et j'étais déjà en retard pour la cérémonie d'ouverture. Quelle sotte fais-je, je vous jure ! J'ai alors pris la première calèche et je me rendis sans plus attendre dans l'immense musée où avaient déjà commencé les festivités. Je m'étais mise à courir le plus vite possible, ne regardant pas vraiment où je marchais, si bien que je sentis un poids basculer devant moi. Je venais de percuter quelqu'un qui tomba à la renverse devant moi et je manquais par la même occasion de choir de tout mon poids sur lui. Fort heureusement, ma robe bouffante a amorti ma chute et m'a permis de ma relevée, aidé par de galants hommes qui se trouvaient autour de moi. Je peux vous assurer que mon entrée était digne d'une dame de mon rang ! Je me retournais ensuite vers la personne que je venais de faire tomber et je lui tendis ma main droite, une mine désolée sur le visage et ma main gauche entortillant une mèche de ma longue chevelure rousse.

"Bonsoir Monsieur, veuillez pardonner ma maladresse, je ne vous avais guère remarqué" dis-je avant d'ajouter : "Mon nom est Weil, Levia Weil, et vous?" Ayant remarqué qu'il n'était probablement pas français, je m'essayais à l'anglais qui n'était pas trop mauvais, mais très marqué par mon accent franco-roumain.

C'est ainsi que débuta ce jour qui allait être gravé dans ma mémoire et dans ce petit journal.