chapter one — the meeting
Une semaine de repos. C’est le temps qu’il te faut cesser ton travail, pour te remettre sur pieds. Pour te remettre de ton énième avortement, plus précisément. Et quand bien même c’est une pause plus que bienvenue, tu es beaucoup moins friande de ses conséquences. Premièrement, cela signifie devoir te farcir les réflexions et les reproches de Madame Lambeth, en plus de devoir supporter sa vieille tête aigrie. Deuxièmement, et probablement le plus embêtant — pas de travail, pas d’argent. Enfin, troisièmement, et sans doute la perspective la moins enthousiasmante — tu devras travailler deux, trois, voire quatre fois plus pour combler les pertes financières. Plus de passes, moins de temps libre. Et tu n’en as déjà pas beaucoup. Alors cette semaine de repos, au prix où tu la payes, tu comptes bien en profiter comme tu l’entends. Et par « comme tu l’entends », tu veux dire « loin du bordel ». Hors de question pour toi de passer sept jours et sept nuits dans le bahut. Tu as besoin de changer d’air, de fuir un peu l’autorité de la maquerelle. Alors tu flânes dans les rues de Londres, seule au milieu des passants qui se pressent ci et là. Toi, tu n’es pas pressée, Adélaïde. Tel un prédateur lorgnant sur sa proie, camouflé par les hautes herbes d’une savane que tu imagines derrière tes paupières à défaut de l’avoir sous tes yeux, tu guettes. Tu chasses. Tu es à l’affût de ta prochaine victime, et tu cherches un type de personne bien précis : le genre qui se fait remarquer. Non pas par son attitude, ceux-là, tu as plutôt tendance à les éviter. C’est que tu n’es pas une inconnue ici Adélaïde, bien au contraire. Et l’étiquette de « fautrice de troubles » qui te colle à la peau ne t’aide pas à éviter les ennuis. Non, ce que tu regardes avant tout, c’est l’habit. Tu ne voles que les riches, pour des raisons évidentes, mais aussi parce qu’ils sont les moins prudents, les moins attentifs. L’épaisse couche de vêtements qu’ils portent les empêche bien souvent de sentir tes mains habiles se glisser dans leurs poches — c’est ainsi que tu as déjà récupéré quelques bourses, de quoi compenser une peu de l’argent que le lupanar perdra cette semaine. Autant joindre l’utile à l’agréable, huh.
Une silhouette se démarque de la foule et accapare aussitôt toute ton attention. Pas besoin de détailler sa tenue pour flairer le gros poisson, mais tu prends tout de même le temps d’observer sa silhouette. La première réflexion que tu te fais, c’est qu’il te paraît jeune, pour déjà porter d’aussi beaux habits. Enfin. Tu glousses pour toi-même. Qu’est-ce que tu en sais, après tout, Adélaïde ? Il ne ressemble pas à ces aristocrates que tu as l’habitude voir ici, mais tu ne peux pas nier la noblesse et la prestance qui se dégagent de lui. La seconde chose que tu remarques, c’est qu’il est délicieusement attirant. Tu songes un moment à user de tes charmes pour le séduire, mais te ravises bien vite. Tu n’es pas en mesure de lui offrir ce que la plupart des hommes recherche chez une putain, et tu es déjà bored à l’idée de devoir lui faire la conversation et lui dire ce qu’il a envie d’entendre. Back to basics, then. Mine de rien, l’air de tout ; tu le suis sur plusieurs mètres, tachant de rester hors de son champ de vision. Tu le vois se diriger vers une boulangerie, et choisis ce moment-là pour passer à l’acte. S’il entre dans la boutique, ce sera trop tard. Tu t’approches doucement, prends quelques secondes pour caler ton rythme de marche sur le sien — tu marches dans ses pas, silencieuse, presque invisible. Et lorsque l’occasion se présente enfin, tu glisses ta main dans sa poche. Pas de chance, c’est très exactement à ce moment-là qu’il choisit de le faire aussi. L’homme te saisit brusquement la main et te force à lui faire face. « Hoy ! Tu fous quoi là, idiota ?! » s’exclame-t’il tout en bousculant. Tu te dégages de son emprise d’un geste vif, passes ta main sur ton poignet endolori, l’air mauvais. « Si tu m’as pris quelque chose, t’as intérêt à me le rendre inmediatamente ! » Autour de vous, personne ne se retourne. Ce genre de scène est fréquent, à Londres ; spécialement dans ce genre de quartiers. Blessée dans ton orgueil — il t’arrive de louper ta cible, mais tu n’es jamais prise sur le fait, d’ordinaire — tu ne penses d’abord qu’à lui répondre par les poings. Tu le bouscules à ton tour, le pousses de toutes tes forces. Un geste inutile, mais qui te permet de libérer ta frustration. « Just WHO the fuck do YOU think you are ?! » râles-tu. Puis te vient une idée, alors que tu décides de rebondir sur sa dernière phrase. Rien de méchant, mais il t’a mise de mauvaise humeur et tu veux le lui faire payer. Tu fais mine d’avoir quelque chose dans ta main, et d’en glisser le contenu dans ton décolleté. « Want it back ? » grognes-tu, mais l’on devine aisément le rictus dans ta voix. Tu prends un air provocateur, un air de défi. « Come and get it. »
Tu lui souris, désinvolte.
(I could easily forgive his pride
had he not wounded mine.)
» flashback, un an plus tôt (189x + 0) — felipe & adélaïde «