Tu n’as jamais apprécié la compagnie des gamins, Abigaïl, mais ce gamin en particulier te tape sur les nerfs bien plus que tu ne voudrais bien l’avouer. Ton regard se fait tempêtueux et les traits de ton visage se crispent alors que le jeune homme refuse d’abandonner cette conversation qui, rapidement, prend un mauvais tournant. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé de le faire fuir avec ton honnêteté un peu trop brutale ; le gamin s’indigne plutôt que d’aller voir ailleurs. Tu en aurais presque envie de te cogner la tête contre la table, dis-donc. Tu es cependant (semble-t-il) l’adulte de la situation ; il te faut donc garder une certaine contenance. Aussi te contentes-tu de lever les yeux au ciel (bien haut) quand le jeune autochtone refuse de te laisser tranquille. «
Vous y répondez, mais vous n’avez pas le droit de me dire que c’est peine perdue. » À nouveau, tu lèves les yeux au ciel si fort que tu crains de te déchirer le nerf optique. Puis tu poses un regard plus que noir sur la bien désagréable personne qui te fait face. «
Écoute, j’ai jamais dit que c’était peine perdue. Tu m’as posé des questions, j’y ai répondu, c’est tout. » fais-tu d’un ton grinçant. Tu en as assez, Abigaïl, tu voudrais juste terminer ton repas tranquillement. Et ta patience (déjà bien peu solide) n’a de cesse de s’éffriter un peu plus à chaque seconde que tu passes en compagnie du garçon. «
Tu peux bien faire c’qu’tu veux, qu’est-ce que j’en ai à foutre, hein ? Va te perdre j’sais pas où et fous moi la paix, tu veux ? » Et si avec ça, il ne comprend toujours pas le message, eh bien tu ne peux plus rien pour lui. Tu le lâches alors du regard, persuadée que le gamin s’en ira alors de lui-même, contemplant alors le peu de salade qu’il te reste.
Tu piques un bout de tomate que tu engloutis rapidement. La voix du garçon te fait presque avaler de travers. «
Ah oui ? Et ce quelqu’un avec qui vous voyagez, vous n’avez pas besoin de lui ? » Trop, c’en est trop pour toi, Abigaïl. Plus qu’agacée (tu es même en colère, à présent), tu tapes du poing sur la table. Ça fait sursauter les quelques autres clients, qui te lancent des regards interloqués. Tu les ignores pour poser un regard furibond sur ton insupportable interlocuteur. «
Non mais c’est pas vrai ! J’dois te le dire en quelle langue ? Laisse moi tranquille ! » t’écries-tu alors, les nerfs à vif. «
Et mêle-toi de ce qui t’regarde. J’ai pas à m’expliquer à un p’tit merdeux comme toi. » Et tu as conscience que ça te donner un air bien hypocrite, Abigaïl. Tu sais de quoi tu dois avoir l’air, selon lui, mais tu n’en as que faire ; ça fait bien longtemps que tu ne fais plus attention aux apparences, que tu ne fais que te concentrer sur l’essentiel. Ta relation avec ton mentor est difficile à décrire ; il fait office de figure paternelle dans ta bien courte existence, sans toutefois en être un vrai, de père. Pas que tu veuilles ou aies besoin d’un père (tu n’en as jamais eu jusque-là (et tu t’en es toujours très bien sortie)), mais tu aurais aimé pouvoir mettre des mots plus précis sur la relation (toujours assez dure (dénuée de la moindre tendresse)) qui vous unit. Tu soupires lourdement. Non, tu n’as pas réellement besoin de ton mentor. Si le coeur t’en disait, tu pourrais très bien disparaître dans la nature, sans le moindre mot. Tu n’as pas vraiment besoin de lui, il n’a pas vraiment besoin de toi et les choses sont très bien ainsi, un point c’est tout. «
Qu’est-ce que t’as à me regarder ? T’as rien de mieux à faire ? » Tu le rabroues sèchement, espérant qu’il te laisse enfin tranquille.