Et il y avait. Ce sentiment glacial -celui qui forçait à mettre ses mains dans ses poches-. Le regret. Et il y avait. Ce sentiment brûlant -celui qui donnait l’impression de s’étouffer-. La culpabilité.
Mais surtout. Il y avait eu cette question. Et elle. C’était encore cette rancœur. Mais elle. C’était peut-être une légère lueur d’espoir.
« Elles t'ont pardonnées ? Ces personnes qui t'ont dit ça... Est-ce qu'elles ont réussi à te pardonner, après ? »
Et elle avait porté son regard à ses souvenirs. Elles l’avaient pardonné. À leur manière. Avec le temps nécessaire à chacun. Avec les mots de leurs personnalités. Mais. Elles l’avaient pardonné. Et c’était le plus important. Et. Pour davantage aider Pandélis à comprendre -non, en réalité, c’était davantage pour le conduire sur le même chemin, lui montrer que ce n’était pas impossible-, un hochement de tête, suivi de quelques mots.
« Elles m’ont pardonné. Certaines m’ont même proposé leur aide. »
Alors. Tu vois. Ce n’est pas impossible d’oublier la rancœur. Pour ne laisser que ce qui est important.
Et. Dans l’auberge. Autour de cette table. Parfois dérangés par toutes ces paroles environnantes -et aucune note triste, seulement des rires, des échanges-, des questions -trop nombreuses questions mais comment lui en vouloir -même si ce qu’elle percevait à travers ne lui plaire guère-- auxquelles elle essayait d’apporter des réponses satisfaisantes-. Pour effacer cette tristesse et cette amertume qui le rongeait, s’imaginant qu’elle l’avait volontairement abandonné, qu’elle s’était immédiatement tourné vers d’autres -comme si, malgré tout, il ne comptait pas suffisamment. Mais. Il aurait dû savoir. Que ce n’était -et que ça ne serait jamais- pas le cas-. Pour essayer de lui faire comprendre -de le convaincre- que tout n’était pas aussi sombre qu’il semblait le penser.
Mais. Impossible d’oublier. Le chagrin. La tristesse. La rancœur. L’injustice. Impossible. Aussi facilement.
Alors. Malgré ses mots. Malgré ses explications. Le regard de l’exorciste qui semblait se teinter de peine -ou peut-être était-il simplement vexé-, trouvant échos dans ses gestes, dans ce sourire ironique qui étira ses traits lorsqu’une réponse lui vint enfin.
« J'arrive pas à être totalement convaincu, Célania, » déclara-t-il, avec sa franchise qui aujourd’hui, blessait.
Et une légère déception dans son regard à elle. Mais. Elle savait. Que ça ne pouvait pas être aussi simple. Pas alors qu’il avait tant souffert. Tant réfléchit sur l’incompréhension de son retour. Alors. Il fallait simplement écouter, essayer de trouver les mots justes. Même si. Ce serait visiblement moins facile avec lui qu’avec d’autres.
« Tu te souviens de notre première rencontre ? Je savais même pas de quoi tu me parlais. La Congrégation, ça ne m'intéressait pas et je me rappelle encore que tu insistais et que j'essayais de me débarrasser de toi comme on essaye de se débarrasser d'un truc collé à nos chaussures. »
Nostalgique, un instant. Bien sûr, qu’elle s’en souvenait. Sa première rencontre avec le compatible fuyard l’avait obligé à lui courir après pendant des heures. Mais surtout. Bien sûr, qu’elle regrettait -de tout son cœur- de l’avoir forcé à entrer au service de l’Ordre Noir. Mais. Avant. Avant elle y croyait, elle aussi. Il fallait juste comprendre. Que les choses changeaient. Et qu’elle-même. N’était plus celle d’autrefois. Alors. Nostalgique. Mais surtout. Désolée pour lui. Tellement qu’elle baissa les yeux, alors que les regrets rongeaient toujours. Alors quelques mots, faibles.
« Je m’en souviens… »
Insuffisants.
Et puisque c’était insuffisant. Tellement insuffisant. Il continua, toujours aveuglé par ses sentiments néfastes. Et ça aurait été tellement plus simple. Qu’il les oublie un instant pour ouvrir les yeux.
« Même quand je suis rentré là-bas, ça ne m'intéressait pas plus que ça. Tout ce que j'ai toujours voulu, ça a été un peu perturbé par mon statut d'Exorciste et tu sais... En fait, tu aurais dû savoir que je te serai toujours plus loyal à toi qu'à cette organisation qu'on a côtoyé tous les deux. »
Et la surprise. D’entendre ses propos. Insensés. Incorrects.
Car. Comment pouvait-il -un seul instant- croire le contraire ? Comment -même une seconde- avait-il pu s’imaginer qu’elle ne le savait pas ? Parce qu’il était simplement blessé. Et aveugle. Alors qu'il suffisait simplement. De regarder. D’analyser. Car. Si elle l’avait oublié. Alors. Jamais elle n’aurait accepté la rencontre. Jamais elle n’aurait pris le temps et la peine de lui expliquer. Jamais elle se serait sentie soulagée de constater qu’il s’était trouvé aux côtés de Saphira. Jamais, lui, ne l’aurait aidé au Vatican. Alors. Pourquoi ? Prétendre qu’elle ne savait pas. Alors que tout prouvait le contraire. Alors. À son tour d’être vexée, qu’il puisse penser qu’elle l’avait oublié aussi vite, aussi facilement.
« Je le sais ! » dit-elle alors précipitamment, relevant enfin la tête, dans le seul but de le contredire. Car. Elle ne voulait pas. Surtout pas. Qu’il puisse penser une chose aussi stupide. Et. Se rendant compte trop tard de son empressement -alors qu’elle ne voulait pas le brusquer mais simplement lui expliquer calmement-, elle se reprit, continuant plus posément. « Je le sais bien. Sinon, pourquoi tu penses que j’aurais accepté de te rencontrer aujourd’hui sans même savoir si… » Si j’ai une chance de me faire pardonner. « Ce que tu penses de tout ça… Je te fais confiance, tu sais. Je sais que tu n’iras pas parler de moi à la Congrégation. »
Ça. Il ne pouvait pas l’ignorer, n’est-ce pas ? Elle lui faisait confiance -suffisamment pour se mettre en danger en se rendant au rendez-vous- et lui, ne la trahirait pas. Parce que leur amitié était plus importante -même si, pour le moment, quelque peu effritée-. Ça. Il ne pouvait pas l’ignorer. Mais. Malgré tout, toujours ce ressentiment qui animait ses paroles et ses traits. Non. Ce ne serait pas aussi facile.
« J'aurais trouvé un moyen, j'aurais fais de mon mieux pour qu'on puisse garder contact. »
Et. Un sourire désolé. Car. Ça aussi, elle le savait. Malin comme il était, elle n’en aurait pas douté. Mais elle. Fatiguée et angoissée comme elle était, n’avait jamais pu trouver une solution viable à ce problème. Alors un soupir. Alors qu’elle secouait sa tête, avant d’essayer de le convaincre -encore une fois-.
« Je n’en doute pas. Mais… Moi, je n’ai pas réussi à trouver, » expliqua-t-elle -même si, encore une fois, ça ne serait sûrement pas suffisant-. « Je n’ai trouvé aucune façon de te contacter sans prendre de risque. T’envoyer quelque chose, n’importe quoi, ça semblait impossible. Il aurait suffit de regarder les timbres et les tampons postaux pour savoir d’où l’envoie avait été fait. Et puis… » Sa voix se fit légèrement plus hésitante, se demandant si elle devait continuer. « Ça ne fait pas si longtemps que je suis en mesure de reprendre contact avec des amis… »
Car. Avant. Lorsqu’elle n’avait pas encore récupéré ce qui lui avait été dérobé. Lorsqu’elle n’était plus elle-même. C’était simplement. Impossible. Impossible et inutile. Alors. Seulement depuis le milieu du printemps. Mais. Les événements, les catastrophes. Tout s'était enchaîné trop rapidement pour bénéficier du temps nécessaire. Et. Depuis avril, juin ne lui paraissait pas si éloigné. Non. Pour lui. Ce n’était pas avril. Pour lui. C’était janvier. Alors pour lui. C’était bien plus terrible. Et. Il fallait comprendre. Qu’il ne comprenait pas. Tout comme. Il ne comprenait pas -désespérément pas- pourquoi certains se trouvaient déjà à ses côtés. Pourquoi eux, plutôt que lui.
« Et eux, pourquoi tu leur as fais confiance ? » demanda-t-il, toujours vexé.
Pourquoi. À eux. Spécifiquement.
Et. C’était d’une évidence lucide. Mais. Seulement pour elle. Car. Même avant, même lorsqu'elle était vivante, les secrets s’étaient installés. Avaient fini par prendre trop de place. Même. Lorsqu’ils étaient encore amis. Et ça. Il ne le savait pas encore. Mais ça. Serait peut-être plus difficile à assimiler. Alors elle craignait. De renforcer cette rancœur. Mais puisqu’elle devait lui expliquer, puisqu’elle lui faisait confiance, alors il faudrait parler. Et elle ne pouvait qu'espérer, qu’il comprendrait.
« Et bien… » commença-t-elle difficilement. Entre l’hésitation et l’appréhension. Cherchant ses mots. Sans lui mentir. Pour qu’il comprenne. Et peut-être, qu’il pardonne. Alors le premier nom -le plus simple de tous à expliquer- qui lui vint à l’esprit. « Gwenaëlle avait déjà déserté depuis un moment et… La dernière fois qu’on s'était croisées, c'était pour s’affronter alors… J’avais besoin qu’elle me pardonne, qu’elle ne me tienne pas rigueur de mon erreur. C’est une amie très chère alors… » Sa meilleure amie, en réalité. « Hm, bref. Je l’ai retrouvé après les événements d’Édimbourg. Et elle m’a offert un endroit où rester, un foyer. Alors que ça faisait des mois que j’étais seule et que je vivais dehors. Naturellement, j’ai accepté de rester à ses côtés. »
Et non le contraire. Comme Pandélis semblait le penser. Et. Ça avait simplement commencé de cette façon. Un foyer. Où elle avait pu se reposer, malgré les problèmes et la vétusté du manoir. Où elle avait pu voir d’autres personnes les rejoindre. Peut-être trop, pour parler de chacun d’eux. Et puis. Certains ne devaient pas leur présence de son fait. Saphira, Soren, Lars, avaient suivi d’autres personnes. D’autres encore -comme Lena et Maisie-, semblaient bien difficiles à évoquer sans avoir, d’abord, parlé de ce qui les rassemblait. Sans parler de l’espoir qu’ils partageaient. Alors. Peut-être. Un nom, pour continuer de convaincre, qu’elle avait, lui aussi, croisé par hasard. Et qui lui semblait tellement important.
« J’ai rencontré Lavi par hasard, lors d’une mission que la Congrégation lui avait confié. » Elle l’avait cherché, aussi. Longtemps. Mais. Ce n’était sans doute pas nécessaire de le préciser. « Il a décidé de nous rejoindre plutôt que de rentrer lorsqu'on a eu terminé de résoudre l’affaire. » Et c’était quelque peu étrange. Qu’un bookman puisse décider, sur un simple coup de tête, d’abandonner sa place d’observateur, son mentor, pour suivre deux déserteurs, non ? Alors. Comme elle savait qu’il allait poser des questions -il en avait toujours tellement-, et surtout, parce qu’elle lui faisait confiance -malgré ce qu’il pouvait en penser-, elle décida de répondre avant qu’il ne puisse questionner. Même si. C’était gênant d’évoquer ce sujet. « Hm… Tu vois… Lavi et moi on est… Ensemble ? Alors… »
Alors. Comme une évidence.
Et. Ses mains qui se serraient nerveusement de l’avouer, car loin d’être à l’aise. Car beaucoup trop timide. Mais. Peut-être que ça permettrait de mieux comprendre. Peut-être que ça prouverait qu’il n’était pas le seul à avoir souffert de son mensonge.
« En réalité, » reprit-elle, essayant de retrouver un peu contenance et surtout, changeant rapidement de sujet, « je crois que ce sont eux qui m’ont fait d'avantage confiance que le contraire… »
Suffisamment pour lui pardonner. Pour oublier. Pour rester à ses côtés.
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