Pique-Nique nocturne || PV Célania

Célania pestait pour la énième fois. Elle venait encore de trébucher sur une racine camouflée par l’obscurité. Il faisait tellement sombre à présent que progresser sans danger dans cette forêt commençait à relever du miracle. Cela faisait plusieurs heures à présent qu’elle tournée en rond dans la pénombre à cause d’une simple rumeur. En effet, après s’être arrêtée un bref moment dans le village voisin, elle avait apprit par un habitant assez loquace que la forêt était sans doute hantée. Des bruits étranges en émaneraient durant la nuit, selon ses dires. Toutefois, aucune disparition étrange ni aucune apparition spectrale n’était à déplorer. Sans doute s’agissait-il là d’un simple canular ou bien d’un animal sauvage un peu trop bruyant.

Toutefois, voulant être sûre que les habitants ne couraient aucun danger, Célania avait décidée de faire un petit détour par ce lieu prétendu hanter. Elle, qui n’avait en aucun cas peur des soit disant monstres qui rodaient dans ces recoins sombres, tout ce qu’elle aurait pu redouter était un Akuma ou quelque chose dans ce genre. Ainsi, vers quatre heures, la jeune exorciste s’était aventurée dans les bois, profitant de la lumière du jour pour mener son enquête.

Au final, quelques heures plus tard, Célania était convaincu de deux choses : la première était que cette histoire de forêt hantée était fausse : tout ce qu’elle avait trouvée après ces longues recherches était des traces d’animaux. Elle avait bien entendu quelques bruits étranges mais rien qui ne provienne pas de la faune locale. La deuxième chose était qu’à force de tourner en rond dans cette forêt, elle avait perdu son chemin. La française se retrouvait donc dans les bois, au beau milieu de la nuit, sans savoir où elle était. Elle qui d’ordinaire avait un bon sens de l’orientation, la situation commençait un peu à l’irriter. De plus, la faim se faisait sentir depuis un bon moment à présent.

Je vais bien finir par trouver une sortie ! se dit-elle pour se redonner espoir.

A cet instant, Célania remarqua une lumière au loin. Curieuse, elle plissa les yeux, essayant de voir à travers la pénombre. Ce pourrait-il que ces histoires de fantôme soient réelles, au final ? Non, à première vue, il s’agissait là d’un feu de camp, rien de plus. Mais qui aurait l’idée de camper dans un endroit supposé hanter ? Curieuse, la jeune fille se rapprocha de la source de lumière avant de se dire que, même s’il ne s’agissait surement pas d’un fantôme, elle devait tout de même rester sur ces gardes. Rien ne prouvait que la personne qui entretenait le feu fût douée d’intentions louables. Ainsi, elle rejoignit la source de lumière, méfiante, une main posée sur la garde de son arme. Pour au final tomber sur une jeune fille, tenant une poêle en guise d’arme de fortune, dont les vêtements étaient couverts de peinture. Apparemment, l’exorciste lui avait fait peur.

Qu’est-ce que… ?

Surprise, Célania lâcha la garde de son arme et regarda la personne assise en face d’elle. Il ne s’agissait certainement pas d’un fantôme. L’option d’un ennemi n’était toujours pas à exclure mais la jeune fille la prit de court : elle reposa l’instrument de cuisine, lui tendit une saucisse et s’adressa à elle :

-Vous avez faim ?

C’était une phrase toute simple et familière. Pas une phrase que l’on adressait à un parfait inconnu. C’est vrai que la situation était loin d’être ordinaire mais aborder quelqu’un ainsi semblait un peu inapproprié. Pourtant, oui, elle avait faim. Et la délicieuse odeur qui provenait de la nourriture n’aidait en rien. Secouant la tête, la jeune fille tenta de se ressaisir.

-Qu’est-ce que vous faîtes ici, seule, à cette heure ? lui demanda-t-elle.

Célania ne voulait pas paraitre menaçante ni même suspicieuse mais la situation actuelle semblait tellement improbable qu’elle n’envisageait pas de s’assoir aussi rapidement et de partager un repas avec une inconnue.

-Je mange, pourquoi ?

La jeune femme lui avait répondu presque du tac au tac, sans vraiment prendre le temps de réfléchir apparemment. En entendant sa réponse, Célania ne pût s’empêcher de sourire. Oui, elle le voyait bien que la blonde mangeait, la véritable question c’était surtout, pourquoi ici ? Comprenant enfin où la jeune Exorciste voulait en venir, son interlocutrice se reprit :

-Je… Je me suis perdue en me promenant. Alors plutôt que de me blesser, j'ai préféré m'arrêter. Et puis, j'avais faim. Vous êtes certaine que vous ne voulez rien ?

Ainsi donc, cette jeune femme était dans la même situation qu’elle. Mais elle avait fait preuve de plus de présence d’esprit en décidant de s’arrêter. Célania, elle, était partie pour trouver la fin de cette forêt, peu importe le temps que cela lui aurait pris. Mais pour le moment, cela avait été un échec. Alors peut-être qu’au final, la blonde avait raison : faire une pause avant d’être blessée était une bonne idée.

-Et bien… finit par dire la française. Je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité mais… Je dois vous avouez que, j’ai un peu faim…

Aussitôt, la jeune femme se releva, lui fit un signe de tête et commença à chercher dans ses affaires. La seconde d’après, elle sortit un tissu qu’elle étala à même le sol avant de retourner là où elle était assise quelques instants plus tôt.

Qu’est-ce qu’elle fabrique ?

-Venez près du feu, il fait moins froid.

Tout en disant cela, elle lui sourit, l’air avenante et Célania ne pût s’empêcher de lui sourire en retour. Apparemment, son sourire franc était contagieux. Sans se faire prier, l’Exorciste s’assit sur le tissu que la blonde avait installé au sol et en profita pour lui jeter un coup d’œil. Elle semblait pâle et ses cheveux arboraient tout un tas de tissus et de perles. Dans tous les cas, elle semblait sympathique malgré le fait qu’elle faisait facilement confiance aux inconnus… Célania appréciait grandement son invitation mais la jeune femme aurait très bien pu tomber sur une personne mal intentionnée…

-Merci, c’est gentil, lui dit Célania en lui souriant. Vous êtes très aimable.

Mais vous ne devriez pas faire confiance au premier venu ainsi.

La jeune fille remit un peu son manteau sur ses épaules pour lutter contre le vent frais en se disant qu’au final, elle avait bien fait de se perdre dans les bois. Elle pourrait au moins venir en aide à cette fille. Même si pour le moment, la situation est inversée.

-Au fait, je me nomme Célania Vaillant. Et vous ?

Célania trouvait sa compagne d’infortune assez amusante. Elle semblait sans cesse perdue dans ses pensées et lorsqu’elle revenait à elle, c’était pour sursauter et lui répondre avec précipitation. On aurait dit un petit animal craintif. Pourtant, au vu de la confiance qu’elle accordait aux étrangers, la description ne lui convenait absolument pas. Décidément, la jeune Exorciste n’arrivait pas à comprendre le caractère contradictoire de la blonde.

-Lily Pennyworth, finit-elle par lui dire. C'est joli Célania. Mais ça ne fait pas très américain.

La française sourit à nouveau, mais cette fois-ci par amusement. Vraiment, la dénommée Lily semblait avoir une personnalité hors-norme. Elle discutait avec elle, avec une familiarité presque déconcertante, donnant à Célania l’impression qu’elles étaient toutes deux des amies de longue date. Ce qui fût loin d’être le cas.

-Je ne suis pas très américaine non plus ! reprit-elle vivement. Je disais juste ça comme ça, pardon.

Tout en disant cela, Lily se mit à gesticuler étrangement, comme si la situation l’avait mise mal à l’aise. Avait-elle eu peur de vexer Célania ? C’était la réponse la plus logique à sa soudaine agitation. Pourtant, là encore, ce n’était pas le cas. Ainsi, cette dernière s’empressa de la rassurer.

-Il n’y a pas de mal, ne vous en faîtes pas, lui dit-elle gentiment. Il est clair qu’avec un nom pareil, je ne peux être originaire de ce pays. Toutefois, le vôtre m’aurais fait douter.

Lily Pennyworth sonnait particulièrement anglophone. Alors si cette dernière n’était pas américaine, peut-être était-elle anglaise ? Ou même Australienne ?

-Pourquoi vous êtes venue ici ? lui demande-t-elle en la sortant de ses pensées.

Célania sursauta. Elle ne pouvait pas donner la véritable raison de sa venue en Amérique et encore moins dans cette forêt. Dire à Lily que cette dernière était réputée hantée par les habitants du coin ne la rassurerait sans doute pas. L’Exorciste n’aimait pas mentir, surtout envers une personne qui se montrait aimable avec elle et elle ne se révélait jamais très convaincante non plus. Mais dans ce cas, elle ne voyait pas d’autre solution.

-Je… hésita-t-elle. Je rendais visite à des amis et… J’étais sur le chemin du retour. Malheureusement, je me suis perdue en route.

Encore une fois, Célania brillait par son manque d’éloquence lorsqu’elle mentait. Entre ses hésitations, sa gêne manifeste ainsi que sa phrase toute faite qui ressemblait vraiment à une excuse type, toute personne sensée aurait remarquée qu’il s’agissait là d’un honteux mensonge. Toutefois, la jeune fille espérait sincèrement que Lily n’y ferrait pas attention. Même si au fond d’elle, elle n’y comptait pas vraiment. Célania décida qu’il il valait donc mieux changer de sujet rapidement.

-Et… Et vous ? Pourquoi êtes-vous ici ?

-Alors je ne suis pas la seule à m'être perdue ici ? Ma foi, je suis rassurée.

Il semblerait que c’est le lot de chacun dans ces bois, pensa-t-elle avec un léger sourire.

Célania était rassurée. Voir presque même surprise que sa compagne d’infortune ait cru à son mensonge. Trop rare était les personnes qui se laissaient avoir lorsqu’elle avait recourt à ce genre de méthode. Lily, elle, ne sembla pas se poser la question. A moins qu’elle n’ait préférée le cacher dans le but de ne pas la froisser. L’Exorciste n’aurait sans doute jamais de réponse à cette question.

Elle repensa alors à ce que Lily venait de lui confier. Il s’agissait tout de même là d’une drôle de coïncidence. Que les deux jeunes femmes se retrouvent perdues au même endroit laissait presque la française perplexe. Pourtant, devant la gentillesse et l’amabilité de la blonde, ses doutes finirent par disparaitre et commençaient à laisser place à la confiance. Lily semblait fort sympathique, après tout. Quoi qu’il en soit, Célania était, au final, satisfaite de s’être retrouvée là par la force des choses. Ainsi, l’étrange fille aux vêtements pleins de peinture ne passerait pas la nuit seule, à chercher son chemin telle une âme égarée. L’Exorciste non plus, d’ailleurs.

-Je suis juste venue pour dessiner le paysage, finit-elle par répondre.

A la suite de sa déclaration, elle fouilla à nouveau dans son sac mais pour cette fois-ci en sortir des feuilles de papiers qu’elle s’empressa de tendre à Célania. Curieuse, cette dernière les prit délicatement de peur de les abimer et observa quelques instants les traits de crayon soigneusement tracés. Il y avait de tout pour autant que cela se rapprochait de la nature ou bien de ce qui entourait la dessinatrice. Certains étaient plus soignés que d’autres qui se révélaient être de simple croquis. Pourtant, il semblait clair que Lily avait un don pour reproduire ce qu’elle voyait.

-C’est impressionnant, la complimenta-t-elle. Vous dessinez vraiment bien !

Un bruit derrière les fourrés leur parvient à ce moment. Lily lui demanda si elle aussi l’avait entendu et Célania se contenta de hocher la tête, les yeux rivés sur les buissons. Qu’est-ce que cela pouvait-il être ? Un ami, un ennemi ? Et si, en fin de compte, cette forêt se révélée être réellement hantée ? Estimant que Prudence était mère de Sureté, l’Exorciste redonna ses œuvres à leur propriétaire et porta discrètement la main sur son arme. Si ce qui se trouvait derrière les buissons était animé d’attentions malsaines, elle serait prête. Mais contre toute attente, ce fût un petit museau qui sortit des buissons suivit quelques secondes plus tard par le reste du corps de l’animal. La française soupira. Elle se sentit un peu bête d’avoir eu peur, mais il valait sans doute mieux ça plutôt que de laisser un malheur arriver.

-Ce n’est qu’un renard, constata-t-elle.

Il était rare que ces animaux se montrent aux étrangers mais peut-être avait-il été attiré par l’odeur de nourriture. Doucement, pour ne pas faire peur au renard, elle découpa un bon de son repas et le lui tendit. Peureux de nature, l’animal ne s’approcha pas et resta à bonne distance de deux jeunes femmes. Puis, cédant à la faim, il s’approcha prudemment de  l’Exorciste et engloutit le morceau de nourriture qu’elle tenait. Célania avait toujours eu une sorte de don pour mettre les animaux en confiance. Et apparemment, ce renard ne faisait pas exception à la règle.

-Ne faîtes pas de gestes brusques, conseilla-t-elle par dire à Lily. Il s’enfuirait immédiatement.

Du coin de l’œil, Célania aperçut Lily sortir des feuilles ainsi que des crayons. Elle allait sans doute peindre le petit renard. Petit à petit, pendant que la jeune fille nourrissait le visiteur, la dessinatrice se mit à fredonner. L'Exorciste l’observa discrètement : Lily semblait perdue dans son monde alors qu’un sourire enjoué étirait ses lèvres. Célania ne connaissait pas l’air que son amie fredonnait mais elle le trouvait entraînant. Tellement que la jeune fille le chantait de plus en plus fort, si bien que le renard prit peur. Il s’éloigna craintivement de Lily mais resta auprès de la française, attendant patiemment un autre morceau de nourriture.

-Vous avez quelque chose avec les animaux, constata la dessinatrice.

La jeune femme sourit discrètement. C’était la vérité. Les animaux n’avaient jamais eu peur d’elle. Célania en ignorait complètement la raison mais jamais un animal ne l’avait attaqué et beaucoup l’approchait sans rechigner. C’était là un véritable mystère. Pourtant, cela ne dérangeait en aucun cas l’Exorciste. Elle aimait beaucoup les animaux et appréciait de s’en occuper. D’ailleurs, lorsqu’elle vivait encore chez elle, elle prenait soin de tous les animaux blessés qu’elle trouvait avant de les relâcher.

Toutefois, Célania n’aimait pas se mettre en avant. Loin de là. Et elle était gênée par ce que venait de lui dire son amie. Elle ne savait pas quoi lui répondre et n’avait pas envie de se lancer dans le sujet. Au final, elle en vint même à se dire qu’elle n’aurait pas dû nourrir l’animal. Elle n’avait pas pensé aux répercutions que son geste pourrait entraîner… Ainsi, elle se contenta de hocher la tête, ne souhaitant pas donner envie à Lily d’alimenter cette conversation. La jeune fille s’arrêta alors de dessiner et lui sourit.

-Je vous envie. Si j'ai quelques animaux domestiques, on dirait que celui-là ne veut pas de moi.

-Les animaux sauvages sont différents des autres, répondit rapidement la française. Mais à force de patiente et surtout de nourriture, ils finissent par se laisser approcher.

Célania espérait fortement que la blonde finisse par changer de sujet. Heureusement pour elle, comme si elle avait perçu son malaise, Lily rit légèrement en haussant les épaules. Avant de partir sur tout autre chose pour le plus grand bonheur de son interlocutrice.

-Dîtes moi Célania. D'où venez-vous ? Oh non ! Laissez-moi deviner. Avec un tel nom, vous devez venir... hum. De France ? Ai-je raison ? Ou alors d'Italie. Non, de France, j'en suis certaine maintenant. Vous avez ce même accent que l'un des amis de ma famille. Un accent un peu rude et pourtant si joli.

Son amie semblait s’emballer devant toutes les questions qu’elle se posait. Ses yeux semblaient presque briller tellement elle paraissait excitée. Célania ne pût s’empêcher de sourire devant tant d’enthousiasme mais ne répondit que sobrement à Lily, encore une fois. Elle avait peur de passer pour quelqu’un d’associable mais c’était plus fort qu’elle : elle n’appréciait pas d’être le centre de l’attention.

-C’est exact, je viens bien de France…

La jeune Exorciste espérait que ça suffise à Lily mais c’était sans compter sur la curiosité naturelle de cette dernière. Elle enchaîna immédiatement et, prise dans son élan, elle se rapprocha même de la jeune fille afin de lui attraper les mains. Célania écarquilla les yeux sous la surprise et recula un peu. Jamais elle ne se serait attendue à un tel rapprochement ! Lily était vraiment particulière mais à vrai dire, elle était plutôt amusante.

-Alors racontez-moi, comment est-ce la France ? On dit de Paris qu'elle ne dort jamais, est-ce vrai ? J'ai tellement hâte d'y arriver, vous n'imaginez pas. J'ai hâte de voir les rues pavées et les vieux bâtiments. Oh et Montmartre aussi. Montmartre et ses bohèmes. Cet homme, cet ami, lors d'une fête organisée par mes parents, m'a dit que je m'y sentirais comme chez moi. Qu'en pensez-vous ?

Réalisant qu’elle venait de la noyer sous un flot de parole ininterrompu, Lily rougit légèrement et relâcha les mains de l’Exorciste tout en s’éloignant d’elle. Sa réaction fit légèrement rire Célania. La blonde était vraiment adorable de par ses mimiques et sa façon de s’enthousiasmer de tout. Malheureusement, la française allait la décevoir : elle n’avait jamais mit les pieds à Paris.

-C’est ce qu’on en dit, effectivement. Toutefois, je ne suis jamais allé moi-même à Paris alors je serais incapable de vous dire si tout ceci est vrai. Mais il me semble évident que quelqu’un comme vous s’y sentira à sa place ! J’en entendu dire que c’était une ville d’art le jour et de fête la nuit. Vous ne risquez pas de vous ennuyer !

Lily était tellement pleine de vie à l’image de la ville lumière que ça semblait une évidence. A elle seule, la jeune fille brillait tellement par son enthousiasme et sa gentillesse qu’elle semblait faire de l’ombre au feu.

-Si je peux me permettre, pourquoi vous y rendez-vous ?

Suite à sa question, la blonde sembla se perdre quelques secondes dans ses pensées, un fin sourire sur ses lèvres, comme si elle se remémorait quelques souvenirs agréables. Elle reporta ensuite son regard sur l’étrangère lui répondant avec entrain.

-J'aimerais faire le tour du monde, voir chaque pays, chaque culture, chaque habitant. J'aimerais tout découvrir de notre société. J'ai lu tellement sur tout ça, que j'aimerais le voir de mes yeux.

Son petit sourire s’était élargi au fur et à mesure qu’elle parlait, ne laissant aucun doute sur sa motivation à entreprendre ce périple. Voyager ainsi, bien que cela fusse sans doute dangereux pour une jeune fille seule, semblait lui tenir à cœur. L’intonation que l’Australienne avait employée trahissait également son enthousiasme. Devant la réaction de Lily, Célania ne put s’empêcher de sourire également. Voyager… Aller de pays en pays, faire des rencontres, apprendre des autres, découvrir d’autres cultures… Cela semblait intéressant mais entreprendre un voyage pareil seule était assez déraisonnable…

-Et pour l'instant, je ne suis pas déçue par mon voyage. A chacune de mes escales, j'ai fait la rencontre de personnes incroyables. Et j'ai même entamé une correspondance avec quelqu'un que je n'ai jamais vue pour de vrai. Étrange, n'est-ce pas ?

Plus qu’étrange même ! Comment correspondre avec quelqu’un que l’on ne connait ? Quel sujet aborder ? Et d’ailleurs, pourquoi le faire ? Quel pouvait bien être le but d’un telle manœuvre ? D’autant plus lorsque l’on ne sait pas quel genre de personne peut se trouver derrière les lettres… Les propos de Lily avaient un peu déstabilisés la jeune fille qui trouvait cette pratique assez singulière. Si l’enthousiasme de la blonde l’avait transporté jusqu’ici, cette déclaration la laissait septique.

-Assez, oui… finit-elle par dire.

-Et vous Célania, quel rêve, quel but vous tient à cœur ?

En entendant la question, les yeux de la française se perdirent dans le vague. C’était là une excellente question. Avant de devenir Exorciste, elle aussi était emplit de rêve. Ses priorités n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui mais en acceptant sa nouvelle condition, elle avait fini par les abandonner, faute de compatibilité. A présent, que pouvait-elle espérer à part rester en vie un jour de plus ? Cette guerre ne semblait pas connaitre de fin, depuis le temps qu’elle durait et en souhaiter le dénouement était présomptueux. Avoir comme but de ne pas mourir au combat était sans doute un bon début, n’est-ce pas ? Devant son manque de réaction, Lily reprit vivement la parole, craignant sans doute d’avoir été trop indiscrète.

-Enfin, vous n'êtes pas obligée d'en parler bien sûr ! Après tout, vous ne me connaissez pas vraiment.

Célania reporta son attention sur son amie, consciente que sa petite absence était un peu étrange. Mais la question l’avait amené à réfléchir étant donné qu’elle-même ne se l’était pas posée depuis qu’elle avait rejoint l’Ordre Noir. Il lui avait donc fallut quelques secondes pour y répondre.

-Vous ne me connaissez pas non plus et pourtant, vous partagez beaucoup avec moi. Que ce soit votre repas ou vos rêves… lui sourit-elle. Et je dois avouer que la façon dont vous les décrivez me laisse admirative. J’aime beaucoup discuter avec vous.

Sa dernière phrase lui avait échappée. Ce n’était pourtant pas dans ses habitudes de parler avant de réfléchir mais ses émotions avaient pris le dessus, semble-t-il. Il était vrai que discuter avec la jeune fille était comme une bouffée d’air frais mais tout de même ! Elle n’allait quand même pas lui avouer qu’elle appréciait sa compagnie au bout de si peu de temps ! Ainsi se reprit-elle vivement en choisissant de répondre à la question précédente.

-C’est stupide mais… J’aimerais voir l’aube tous les jours…

Pour Lily, sa phrase paraissait sans doute n’avoir aucun sens mais pour elle, cet espoir représentait beaucoup. Consciente que répondre à cela était compliqué et ne souhaitant pas s’attarder d’avantage sur le sujet, Célania reprit la parole.

-Dîtes-moi, pourquoi traversez-vous cette forêt de nuit ? Il aurait été plus facile de faire cette expédition durant la journée.

Etrangement, l’australienne parût moins jovial lorsque l’autre lui avait répondu. Son visage devint presque inquiet. La différence d’expression frappa l’Exorciste. Si son amie aurait pu ressembler à un tableau joyeux, avec pleins de couleurs vives et sans ordre précis, à présent, Célania avait l’impression d’observer une reproduction terne qui n’avait pas de sens. Lily était une personne qui était faite pour sourire, pas pour être triste. Cela apparaissait comme une évidence aux yeux de la jeune femme.

La française regretta aussitôt d’avoir confié cette phrase. Célania se mordit la lèvre. Par sa faute, l’ambiance détendue et amicale était devenue silencieuse et pesante. Définitivement, elle n’aurait pas dû dire ça… Heureusement pour elle, la blonde reprit la parole, évitant ainsi de faire durer le silence plus longtemps.

-Et bien, comment dire cela. Je fonds comme neige au soleil. Ou plutôt comme une poupée de cire, puisque je ne suis pas de la neige.

La jeune femme semblait songeuse. Comme si elle réfléchissait à ce qu’elle aurait pu dire ensuite, laissant ainsi l’Exorciste à ses questions. Et Dieu savait qu’elle s’en posait beaucoup à l’instant présent ! Célania fixait son amie en se demandant ce que pouvait bien signifier cette phrase. « Fondre comme une poupée de cire au soleil ». Comment cela était-il possible ? Un être humain pouvait-il fondre au soleil ? L’Exorciste n’avait jamais entendu parler d’un tel phénomène… Et la blonde ne semblait pas se moquer d’elle : elle disait la vérité. Une telle chose était-elle vraiment possible ? Dans tout les cas, ce n’était pas normal… Répondant à ses questions muettes, Lily donna plus d’explications sur cet inquiétant phénomène.

-Je pense que la bonne comparaison, ce serait du papier. Vous savez, quand vous laissez du papier sous une loupe, il s'enflamme. Et bien, c'est à peu près ce qu'il m'arrive. Je ne prends pas feu bien sûr ! Mais ma peau brûle comme si je m'étais mise trop près du soleil. Un peu comme Icare en quelque sorte.

Célania comprit enfin de quoi il en retournait. Son amie n’avait pas parlé au sens propre : il s’agissait là d’une métaphore, bien entendu. La française se maudit intérieurement. Parfois, elle se révélait vraiment sotte à tout prendre au pied de la lettre… En réalité, Lily devait souffrir d’une maladie rare. Une maladie qui la rendait intolérante au soleil.

Aussitôt, l’Exorciste ne put s’empêcher d’être triste pour la blonde. C’était là une chose horrible de ne pouvoir vivre au soleil et d’être condamner à erreur dans la nuit. En y réfléchissant, l’australienne avait sans doute un avenir plus triste que le sien… Car même si elle ne faisait pas partie de cette guerre sanglante, son destin n’était pas plus enviable. La sortant de ses pensées, la jeune femme reprit la parole.

-J'y pense. Peut être pourrions nous finir le chemin ensembles ? Je dois retourner à la ville avant qu'il ne fasse tout à fait jour. À deux nous irons plus vite, non ? Et puis je ne vais pas vous laisser toute seule ici et m'enfuir comme une voleuse. Qu'en pensez-vous ?

D’une part, Célania n’avait pas envie de reprendre la route seule. Au vu de la façon dont elle s’était déjà perdue, il était fort probable qu’elle recommence une fois de plus. En plus de cela, elle aussi devait retourner en ville alors autant en profiter pour faire le trajet avec sa nouvelle amie. La compagnie de Lily était fort agréable alors pourquoi s’en priver ? Et surtout, au fond d’elle, la française voulait redonner au visage de la blonde le sourire si joyeux qui l’avait habité jusqu’ici.

-Je vous accompagnerais avec plaisir : je dois également rejoindre la ville, lui sourit-elle. Nous ferrions mieux de partir tout de suite si nous voulons l’atteindre avant la fin de la nuit.

La jeune femme se leva et aida Lily à ranger leur campement de fortune. Il n’y avait pas grand-chose à emballer mais elle ramassa tout de même la poêle qui aurait pu l’assommer si sa propriétaire s’en était servie. Elle la lui tendit afin qu’elle puisse la ranger dans son sac avant de reprendre la parole.

-Vous transportez beaucoup de choses, constata-t-elle. Cela doit vous encombrer dans votre voyage, non ?

A elles deux, elles finirent d’empaqueter les biens de Lily en peu de temps. Elles se mirent ensuite en route, choisissant la direction opposée à celle d’où Célania était venue. Il n’y avait plus qu’à espérer que ce soit le bon chemin, cette fois-ci.

-Essayons de ne pas nous perdre, cette fois-ci ! sourit-elle à Lily.

Son amie était optimisme quant à leur chance de retrouver leur chemin. Ce qui fit à nouveau sourire la française. Quoi qu’il puisse se passer, elle ne perdait jamais sa joie de vivre. Et puis, malgré la nuit qui les entourait, les deux jeunes femmes devraient être à même de retrouver leur chemin. Se mettant en route, elles parcoururent la forêt, cheminant le long d’un petit sentier qui serpentait entre la végétation. Pendant leur marche, les deux amies continuèrent de discuter, échangeant des sujets futiles et sans importance mais pourtant agréables. Echanger autant avec une personne qu’elle connaissait si peu au final, lui paraissait un peu étrange. Mais aussi surprenant que cela puisse paraitre, ce n’était pas déplaisant. C’était un peu comme si, tant qu’elles ne retrouveraient pas leur chemin, elles pouvaient se confier l’une à l’autre sans se soucier des conséquences.

Finalement, au bout d’une bonne marche et alors que le ciel commençait à s’éclaircir, Lily reconnu le chemin. Sans attendre, elle lui attrapa la main et la força à la suivre en courant. Toujours ce même enthousiasme. Toujours ce même sourire.

-J'aimerais te montrer quelque chose avant d'arriver au village. Enfin, c'est au village, mais ce n'est pas à l'entrée du village. C'est sur un côté. Fais-moi confiance !


Sa phrase étonna la française. Pour la première fois depuis le début de leur rencontre, son amie la tutoyait. Etaient-elles devenues si proche ? Il fallait croire que oui… En y réfléchissant, elles avaient beaucoup discuté toutes les deux. Elles s’étaient confiées l’une à l’autre. Elles étaient amies. Alors pourquoi continuer de marquer une distance verbale ? Sans se poser de questions, Célania suivit la blonde. Elle n’avait pas besoin de lui demander de lui faire confiance. La jeune femme ne pouvait imaginer son amie manigancer la moindre chose contre elle. Sans s’arrêter de courir, elles dépassèrent quelques maisons pour se retrouver un peu à l’écart du village. Devant elles se tenait une maison au toit bien singulier. Il s’y échappait une délicieuse odeur. Une odeur que la française aurait reconnue entre mille. Celle du pain et des viennoiseries qui cuisaient

-Et voilà !


La boulangerie n’est pas encore ouverte au vu de l’heure plus que matinale mais le pain commençait à cuire. Dommage, la jeune femme n’aurait pas refusé un petit déjeuné.

-Ça sent délicieusement bon, dit-elle à son amie. Dommage qu’elle ne soit pas encore ouverte.

L’Exorciste leva la tête au ciel. Les premiers rayons de soleil commençaient à apparaitre. Elle avait malheureusement déjà trop trainé. Et l’australienne devrait sans doute se mettre rapidement à l’abri. Elle se tourna alors vers son amie. C’était triste mais il était temps de se dire au revoir.

-Je vais malheureusement devoir te quitter, sourit-elle tristement. Je te remercie encore pour le repas. Pour tout, en fait. J’ai passé un très bon moment en ta compagnie.

Célania lui lâcha enfin la main. Elle regardait son amie en souriant. Quitter l’australienne la rendait un peu triste. Elle l’appréciait beaucoup et avait aimé discuter avec elle. Mais au fond, elle était sûre de la croiser à nouveau. Seul le destin savait où et comment elles se retrouveraient. De plus, si Lily se rendait également en France, elles pourraient peut-être se croiser.

-J’espère te revoir un jour. La prochaine fois, c’est moi qui t’offrirais le repas. Et tu me parleras des pays que tu auras visités !

Se surprenant elle-même, elle prit son amie dans ses bras. Ce n’était pas dans ses habitudes de se rapprocher ainsi des gens mais elle appréciait la blonde et la quitter sur une simple poignée de main n’était pas envisageable. Elle finit par relâcher l’australienne et lui sourit à nouveau, une dernière fois.

-A bientôt, Lily. Prends soin de toi.

Célania lui adressa un dernier signe de la main et parti en direction de la prochaine ville. Elle en était convaincue. Tôt ou tard, elle recroiserait son chemin.