L’Exorciste était parvenu à l’atteindre plusieurs fois, à plusieurs endroits. Les bras et le torse. Mais ça n’avait pas été assez. Ni même utile. A présent, elle était là, comme clouée sur place, incapable de se défendre. Elle allait sans doute mourir. Sans pouvoir attaquer, sans pouvoir riposter. Rentrer dans cette boutique avait été une grave erreur. Se battre contre le vendeur aussi. Croire qu’elle pouvait lui tenir tête était encore pire. Elle aurait dû se rendre compte bien plus tôt qu’elle n’avait aucune chance contre un Noé. Elle allait quitter ce monde sur des regrets.
En y réfléchissant, elle n’avait rien accompli de ce qu’elle voulait. Rendre ce monde meilleur, plus juste… Elle en était incapable. Elle avait toujours été un poids pour ses équipiers. Et bien qu’elle ait rencontré des gens formidables, elle ne leur avait rien apporté. La française se reposait toujours sur eux. Elle était incapable de se défendre seule, incapable de faire quoi que ce soit seule. Elle était faible. Et elle allait mourir. Alors ses larmes redoublèrent sur ses joues.
Célania avait envie de se défendre. Quitte à mourir, autant le faire en se battant ! Pas en restant ainsi ! Mais elle en était incapable. Son adversaire ne semblait représenter aucune menace dans son esprit. C’était stupide. Il voulait mettre fin à ses jours et elle ne trouvait pas cela dangereux. Elle ne pouvait tout simplement rien faire.
Sans se soucier de l’Exorciste, l’homme ramassa l’arme qu’il avait lancée sur elle quelques minutes auparavant. Celle qui l’avait coupée. Allait-il se servir de ça pour la tuer ? D’une arme blanche ? La française déglutit alors qu’il s’approchait d’elle. Il ne lui restait plus beaucoup de temps. Elle le savait. Et pourtant, elle restait incapable de dégainer Falchion à nouveau. Elle ne voulait pas mourir ainsi… Pas sans se défendre… Pas sans l’emporter avec elle. Mais malgré toute sa détermination, elle restait, là, les bras ballants. Alors elle fit la seule chose dont elle était encore capable : elle soutint son regard. S’il voulait la tuer, qu’il le fasse maintenant. Malheureusement, trahissant sa peur, ses larmes ne se tarissaient pas malgré le peu de courage dont elle essayait de faire preuve. Au final, c’était toujours la peur qui l’emportait sur le reste. La dague se posa alors contre sa gorge. Elle était froide… Elle annonçait sa mort. Pourtant, son ennemi restait là, hésitant. Qu’attendait-il ?
L’Exorciste vit l’homme resserrer sa prise sur l’arme. Il hésitait. Mais pourquoi maintenant ? Depuis le début, il était prêt à la tuer. Depuis que la colère l’avait envahi, il n’avait pas hésité un seul instant. Il avait tout fait pour la blesser. Pour la tuer. Et pourtant, à présent qu’il pouvait l’abattre, il hésitait. S’amusait-il ? Est-ce que le fait de la voir apeurée, à sa merci, l’amusait ? Ses larmes le faisait-il rire ? Faisait-il durer ce moment pour son plaisir ? A quoi jouait-il ? Toutes ces questions n’avaient pas de réponse mais Célania était convaincu que la plus plausible était « oui ». Oui, il faisait tout ça pour ces raisons. De son côté, la peur la rongeait. Elle voulait que cette peur disparaisse. Qu’elle cesse. Que le Noé en finisse une bonne fois pour toutes. L’angoisse et l’anxiété commençaient à prendre le dessus. S’il attendait qu’elle le supplie, alors il perdait son temps. Il était hors de question qu’elle en arrive là. Tout ce qu’elle voulait, c’était qu’il mette fin à cette attente. D’une façon ou d’une autre.
-Qu’est-ce que tu attends… ? murmura-t-elle.
L’arme sur sa gorge l’obligeait à ne pas bouger, à ne pas parler fort. La lame aurait pu trancher sa peau si facilement. Mais contre toute attente, le Noé abaissa l’arme. Et alors que la jeune femme soutenait son regard, elle vit une chose improbable. Son adversaire s’était mis à pleurer lui aussi. Bientôt, ses joues ruisselèrent de larmes. Célania écarquilla les yeux. Que se passait-il ? Pourquoi pleurait-il ? Encore plus surprenant, il rangea ses armes dans son dos après avoir essayé ses larmes. La jeune femme était toujours incapable de bouger. Elle ne se déroba pas lorsque la main du Noé se posa sur sa joue. Elle avait toujours peur, mais l’incompréhension prenait à présent le dessus. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Pourtant, elle avait l’étrange impression qu’elle ne risquait rien. Et cette fois-ci, ce n’était pas à cause de l’épervier. C’était le sourire bienveillant et le regard triste de l’homme qui lui imposait cette conclusion. Il ne voulait pas la tuer. Tout du moins, plus maintenant. Il essuya alors une de ses larmes avec son pouce.
-Je ne suis pas un assassin.
Il finit par la lâcher, se dirigeant vers la peluche inerte. Pendant ce temps, Célania porta une main à sa gorge. Elle n’avait rien. Elle était vivante. L’Exorciste fronça les sourcils. Pourquoi avait-il changé d’avis ? Pourquoi l’épargnait-il ? Pour sa conscience ? Parce qu’elle lui inspirait de la pitié ? Était-elle si faible que même son ennemi avait pitié d’elle ? La jeune femme serra ses poings et essuya d’un geste rageur les dernières traces de larmes sur son visage pendant que l’homme donnait à nouveau vie à Camelia.
-Espèce d’abruti ! Je ne te permets pas de me mettre sur pause comme ça. Je ne suis pas un bon petit chien que tu peux attacher à l’extérieur quand je te gêne.
Un faible sourire de soulagement s’afficha sur le visage de la française. Au final, la peluche n’était pas morte non plus. Elle était tout simplement « en pause ». C’était une bonne chose. Elle n’avait jamais voulu que la peluche perde la vie. Tout comme elle-même n’avait pas voulu mourir. Elle vit le serpent s’accrocher au bras de l’homme tandis qu’elle restait là, toujours incapable de faire le moindre geste. Cette fois-ci, elle ne savait pas si la paralysie était due à la peur ou à ce stupide jeu. L’Exorciste vit alors le Noé ramasser un objet au sol pour ensuite se diriger à nouveau vers elle. Doucement, il déposa l’objet dans sa main. L’oiseau. Celui qu’elle avait voulu acheter en entrant dans la boutique. Celui qui avait provoquait tout ça. Et le vendeur le lui donnait. Que cherchait-il à faire en faisant cela ? Encore une fois, elle ne comprenait pas.
-J’ai une dernière question, veux-tu que je te libère de ce fardeau ?
Il parlait de Falchion. De son rôle dans cette guerre. Il lui proposait de la détruire, de lui permettre de retrouver une vie normale. De rentrer chez elle. De retrouver sa famille. C’était une perspective qui ne la laissait pas indifférente. Bien au contraire. Mais pourquoi lui proposait-il ça ? Pourquoi se montrait-il soudain si gentil avec elle ? Que cherchait-il ? Tous deux étaient ennemis. Il était un Noé. Alors pourquoi lui offrir le luxe du choix ? Ne devait-il pas détruire les Innocences ? A moins que ce ne soit encore à cause de sa faiblesse… Faisait-elle pitié à ce point ? Au point qu’il souhaitait la sauver plutôt que la tuer ? A nouveau, la jeune femme serra les poings. Non, elle ne lui accorderait pas ce privilège. Elle continuerait de se battre, elle deviendrait pus forte. Et la prochaine fois qu’ils se recroiseraient, elle parviendrait à se défendre.
-Non…
Alors elle releva la tête vers lui. Elle ne voulait pas de sa pitié, ni même de sa gentillesse. Mais elle voulait des réponses. Elle voulait comprendre cette clémence. Bien sûr, l’Exorciste n’allait pas se plaindre de rester en vie… Mais elle ne voulait pas inspirer la pitié.
-Pourquoi m’épargner… ?
Cette gentillesse n’était sans doute pas gratuite. Il ne pouvait pas être « gentil ». Il était son ennemi… Et pourtant, il la laissait partir. Il lui laissait la vie sauve. Secouant la tête pour chasser ses pensées, elle tourna le dos à l’homme et se dirigea vers la sortie. Elle ne voulait pas rester ici plus longtemps. Elle voulait oublier tout ça. Oublier sa lâcheté. Elle voulait partir et ne plus jamais se retrouver confrontéé au Noé.
Toutefois, au moment de passer la porte, elle se retourna et lâcha un faible « merci » avant de disparaitre dans les rues de Rome.