Et les deux saphirs. Ancienne glace devenue eau. Fixants, scrutants. Pour ne rien échapper. Pour constater.
L’exorciste qui ne semblait -qui n’était- toujours pas à l’aise en sa compagnie -comment l’être, auprès d’un fantôme-. Mais ses épaules, qui, petit à petit, doucement -comme une bougie qui fondrait peut-être. Devant. L’intensité de la guerre ?-, donnaient l’air de s’affaisser, comme si -en vérité- les tensions s’en allaient, petit à petit, doucement, à mesure qu’un fin et discret sourire venait éclairer son visage fatigué. Et. Un sourire. C’était déjà bien assez. Car. Un sourire. C’était comme un commencement. Comme un rayon de soleil à travers les fenêtres poussiéreuses de l’établissement. À travers le silence qui pesait sur ses propres épaules. Alors. Pour le briser, pour affaisser, quelques mots. Simples. Anodins. Mais plein d’espoir. L’espoir qu’ils soient, eux aussi, un commencement. Celui d’une conversation, celui d’un échange, celui d’une libération pour leurs cœurs -si conversation il pouvait y avoir aujourd’hui avec la brune-. Même si. Elle était si discrète, si calme, si -effacée ?- peu bavarde. Et aujourd’hui, malgré son sourire de façade, si anxieuse.
Mais. (Se) Mentir était inutile. Revêtir un masque était inutile. Faire semblant était inutile.
Car. Elle aussi, l’était. Le nier était impossible -inutile-. Et si elle voulait se concentrer sur son amie perdue, elle ne pouvait s’empêcher. D’épier. De surveiller. D’écouter. De s’inquiéter. Elle craignait -bientôt- que l’on cherche l’exorciste parti se balader depuis trop longtemps, qu’on finisse par la trouver alors qu’elle s’était égarée -au milieu des souvenirs- et que la vérité soit révélée. Même si. Elle voulait se convaincre. Qu’ici, ça allait. Qu’ici, elles étaient suffisamment loin -de la réalité ?- pour ne pas être retrouvées -et ça ne devrait pas inquiéter quelque peu l’exorciste ?-. Alors. Ça devrait aller. Si toutefois. Elle ne s’attardait pas. Car. Elle ne le pouvait pas. Pas alors que le rosaire œuvrait dans cette ville. Mais. Elle comprendrait, n’est-ce pas ?
Et. Toujours pour briser ce silence. Car il semblait si lourd, si épais, si présent. Une véritable mélasse désagréable à entendre. Une nouvelle déclaration.
Une déclaration. Qui ternit le sourire de la chinoise. Le rendant crispé. Ternit également ses pupilles d’ordinaire lumineuses -comme le miel, doux, sucré, brillant-, les recouvrant d’un voile d’ombre. Et si elle regretta le choix peu judicieux de ses mots, elle ne pouvait que comprendre la réaction de son ancienne -ancienne, toujours ?- amie. Que comprendre ce qui la rongeait, ce qui obscurcissait l’étincelle. Car. C’était aussi ce qui l’avait -et toujours- animé. Alors. Comme un miroir. Comme en écho. Son propre sourire qui disparaissait, alors que son regard se voulait compatissant -mais pas rassurant. Car on ne pouvait pas rassurer les peurs et les cauchemars de soldats qui avaient déjà bien trop perdu. Et il va falloir continuer d’être forte Hūa, de mentir, car cette guerre n’est pas encore terminée-. Et. Parce qu’elle le savait, parce qu’il n’y avait pas besoin de le lui expliquer. Hua mentait.
« Je vais bien, » déclara-t-elle enfin. Pour faire croire. Toujours faire croire. Protéger les apparences. Se protéger.
Et elle. N’insistait pas. Car. Si on le lui demandait. C’était aussi ce qu’elle répondrait. Pour les mêmes raisons. Ne pas insister. Parce que c’était jamais utile et bénéfique d’insister avec les exorcistes. Trop d’horreurs. Trop de Monstres. Trop de Regrets. Trop de tourments. Gwenaëlle, Hūa, elle-même… Trop d’exemples qui lui venaient à l’esprit en si peu de temps. Et parce qu’elle n’insistait pas, parce qu’elle ne répondait pas, la brune continua, avec cette maladresse qui la caractérisait et qui accompagnait souvent ses gestes et ses mots.
« Tu as l’air en forme, pour une morte, aussi. N’est-ce pas ? » répondit-elle vaguement.
Ironiquement. Parce qu’ils parlent -ils parlent tous. Mais pas en mal pour Hūa alors elle ne lui en voulait pas au fond, c’était juste maladroit, comme avec Oskar- de la mort. Sans savoir ce qui, en réalité l’avait fait disparaître du monde, avait transformé son regard en glace -presque éternelle-. Sans savoir ce qu’elle avait vécu, ce à quoi elle avait survécu. Et en face, toujours. L’exorciste Maladroite, qui se rendait compte de son erreur, un soupire échappant à ses lèvres, alors qu’elle reprenait difficilement.
« Désolée, ce n’était vraiment pas drôle. » Non, ça ne l’était pas, tu sais…
Et pour lui répondre, elle balaya simplement l’excuse d’un geste de la main. Car ce n’était rien. Car c’était derrière à présent -du moins, elle voulait s’en convaincre-. Et surtout. Car malgré tout, elle ne comprenait que trop bien, aisément même. Tous -le peu d’amis proches qu’elle avait eu la chance de croiser jusqu’ici- avaient des réactions différentes mais dans le fond, tellement semblables. Car. Elle était morte -dans les esprits, dans les cœurs-. Elle avait disparu trop subitement. Elle les avait abandonnés, en réalité. Alors, les maladresses étaient négligeables comparées au reste. Et si la brune l’aurait souhaité, elle aurait pu le lui reprocher, déverser sur elle -sur ses choix, sur ses actions, sur son comportement- tous ses regrets, toute sa tristesse, toute son incompréhension, toute sa colère. Elle ne lui en aurait pas voulu. Jamais. Comment aurait-elle pu ?
Et. Encore cette mélasse informe et désagréable qui semblait régner. Et dont elles ne semblaient pas être capables de se débarrasser. Car elle n’avait pas su. Car en réalité, elle n’avait pas envisagé -préparer- une telle rencontre. Et lorsqu’elle retrouvera Lavi, sera-t-elle prête ?
« Tu- Tu m’as manquée, » fit la chinoise, dans un souffle, en même temps qu’elle, sans doute aussi asphyxiée qu’elle par le silence -tellement lourd-.
Et elle. Porta son regard surpris sur son ancienne -toujours ?- amie, ne s’attendant pas à ce qu’elle lui livre ses sentiments aussi rapidement -ce n’était pas dans ses habitudes-. Et elle savait, à ses joues à présent rosées, que ce n’était pas facile pour elle -car ce n’était pas dans ses habitudes-.
« J’ai vraiment cru que tu étais morte et … j’ai beaucoup pleuré. Heureusement, il y a eu Viggo. Il m’a beaucoup aidée. Tu connais Viggo ? »
Et elle parlait. Trop cette fois. Mais c’était sans doute une façade. Pour dissimuler, construire, autour de l’important. Et. L’important, elle l’avait compris, entre les lignes. Alors, de l’incrédulité, son visage -son sourire, son regard- se fit désolé -car sincèrement, elle l’était-, avant de fixer ses mains, pour quitter son interlocutrice qui, à présent, demandait bien trop de réponses. Et elle. Avait besoin de chercher ses mots. Pour s’expliquer -car elle le lui devait. Elle le devait à tellement de personnes- mais en dire le moins. Pour ne pas avoir à replonger dans ses horribles -cruels- souvenirs.
« Je suis désolée, Hūa, sincèrement, » commença-t-elle avec hésitation, cherchant ses mots, toujours. Pour les rendre moins horribles -cruels- que la réalité. « Je ne pensais pas que les choses prendraient une tournure pareille et… Si j’en avais eu l’occasion, je vous aurais prévenu, » que je n’étais pas tout à fait morte. « Mais c’était… Impossible. »
Et un soupir lourd. Car ce n’était pas suffisant. Mais qu’aurait-elle pu lui dire d’autre, pour s’excuser, pour lui prouver qu’elle regrettait de les avoir abandonnés de cette façon -mais pas d’être partie- alors que le mal était déjà fait. Acté. Ancré. Et le flot de paroles, le changement de sujet, comme une bouée de sauvetage.
« Je ne connais pas… Hm… Viggo ? » hésita-t-elle à nouveau, ne connaissant pas ce prénom. « Qui est-ce ? Un de tes amis ? »
Et elle se doutait -elle savait- que si la brune en parlait maintenant, à cet instant précis, alors c’était que Viggo était important pour elle. Alors. Elle voulait écouter. Savoir pourquoi il comptait tant pour elle. Car c’était -toujours ?- son amie.
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