♠Il sait ce qu'il a entendu. Il sait ce qui dort entre ces murs. Mais ce ne sont pas les ectoplasmes qui nourrissent son malaise. Elles ne sont ni vivantes, ni mortes. Elles ne sont ni humaines, ni monstrueuses. Du moins, elles ne sont pas censées l'être. Mais leur apparence à la fois artificielle et réaliste le pousse au dégoût. Il pourrait en perdre la tête s'il se voyait obligé de supporter leur compagnie trop longtemps...
Surprise par le rejet du jeune homme, la vieille dame le fixait de son air ahuri. Elle ne comprenait pas son comportement, alors qu'elle commençait à craindre que les années ne l'aient réellement effacée de sa mémoire; elle s'en retrouvait fortement peinée. Toutefois peu encline à abandonner de si tôt, elle ouvrit de nouveau la bouche pour reprendre la parole, avant de se faire interrompre par la venue d'une nouvelle arrivante qui salua Svan. Ce dernier pivota sur lui-même pour lui faire face, agréablement surpris de constater l'identité de l'Exorciste que l'Ordre avait envoyé suite à sa demande de renfort.
─ Célania, ça fait plaisir de te revoir
, dit-il en lui adressant un léger sourire.
La vieille dame fixait les deux individus avec curiosité. Elle n'avait jamais vu cette fille auparavant et s'interrogeait sur le lien qui l'unissait avec son «
petit-fils ». Elle n'eut, toutefois, guère le temps de les interroger, face à la demoiselle qui entraîna Svan avec elle après l'avoir salué humblement, pour ensuite mettre les voiles. Et même si elle comprenait la précipitation de la jeune génération, la doyenne ne put s'empêcher de persister avec ses commentaires décrépits.
─ Reviens-moi vite, et à ce moment-là tu me présenteras ton amie !
lui crie-t-elle, les mains en porte-voix pour s'assurer qu'il l'entende.
Svan ne lui répondit pas, sinon par un simple geste de la main -par pure politesse- sans cacher sa gêne à sa partenaire, à qui il devait quelques remerciements pour avoir coupé court à la conversation. Son sourire empreint d'une légère nervosité s'estompa rapidement lorsqu'il tourna le dos à la dame pour faire face au sentier, un long soupir s'extirpant d'entre ses lèvres. Il ne s'estimait déjà pas très doué lorsqu'il était question de se sociabiliser avec autrui, si en plus il rencontrait des cas particuliers comme celui-ci, ce n'était pas très exactement un cadeau pour lui. Bien au contraire.
Préférant oublier cette histoire pour se passer d'éventuels commentaires, le jeune homme regardait droit devant lui afin de recentrer son esprit sur l'objectif de sa mission. Il se réjouissait de la présence de sa camarade qu'il savait à la fois assidue et sérieuse... Quand elle ne se mettait pas en tête de le charrier autant par les mots que par ses actions. Non pas qu'il pouvait se vanter d'être mieux lui-même, à vrai dire, ils étaient à peu près égaux à ce niveau; ils pouvaient faire preuve d'une cohésion si parfaite que leur travail d'équipe en était parfois effarant, tout comme ils pouvaient également être les pires bouffons connus au sein de l'Ordre. Oui, c'était effectivement un duo pour le moins particulièrement atypique qui s'était uni à nouveau aujourd'hui. Et malgré les coups bas qu'il leurs arrivait de porter l'un à l'autre, en réalité tout n'était que bonne entente entre eux deux. Svan ne pouvait pas demander meilleure partenaire, il était à peu près sûr que tout se passerait à merveille. Pourtant, malgré toutes ses convictions, un léger doute planait dans son esprit. Entre réflexions et questions, il se fit toutefois rappeler à l'ordre par sa camarade qui venait aux nouvelles, histoire de savoir comment il se portait depuis leur dernier contact.
─ Je n'ai pas à me plaindre, disons
, répond-il simplement.
Son regard se porta sur la demoiselle, à qui il souhaitait renvoyer la question tout en se résignant toutefois. Conscient de la convalescence à laquelle elle fut forcée de se plier, il se doutait que la réponse qu'elle lui renverrait, quelle qu'elle soit, sonnerait à moitié faux à ses oreilles. Il était partagé entre l'envie de lui exprimer son empathie et sa compassion en lui conseillant de se ménager, et son désir de la soutenir dans sa volonté de répondre à l'appel du devoir, en dépit des séquelles qu'elle gardait encore de ses missions précédentes. Il se disait qu'elle n'avait peut-être pas envie de se faire continuellement cajoler, et qu'elle préférerait probablement être encouragée, plus encore de la part d'un ami tel que lui. Dans cette optique, Svan se fit une nouvelle réflexion; si l'Ordre Noir l'avait envoyée, alors elle devait s'être suffisamment reposée pour cette mission.
─ Et toi, tu as plutôt l'air en forme, c'est une bonne chose
, reprend-il, en tentant d'être aussi neutre que possible.
Leurs pas les portaient lentement mais sûrement vers l'illustre demeure des Aveline, la source de nombreuses frayeurs qui terrorisaient les villageois. Au-dessus de leur tête, le ciel s'assombrissait progressivement, annonçant quelques dépressions, voire un orage, à en juger par les légers grondements qui retentissaient au cœur de ces nuages gris. Le vent se leva à son tour, accompagné par des températures plus fraîches. Un tout qui changea radicalement l'aspect du village qui devint, d'apparence, plus sinistre et beaucoup moins accueillant qu'à l'arrivée de Svan. Ce dernier manqua de se figer lorsqu'il entendit sa camarade prendre de nouveau la parole.
─ J’ai parcouru le rapport que tu as fait parvenir concernant cette maison hantée. Tu as pu découvrir d’autre chose ?
─ J'ai eu vent de... D'histoires loufoques pendant que je patrouillais sur la place marchande...
dit-il instinctivement, avant de regretter ses mots.
Il repensait à cette conversation entre ces deux jeunes gens, avec pour sujet principal cette même bâtisse. Cependant, ce qui l'avait refroidi n'était pas vraiment la demeure en elle-même. Mais plutôt ce qu'elle renfermait. C'était presque ridicule quand il y repensait. Il ne craignait pas les akumas qui y avaient assurément élu domicile, mais les poupées évoquées par le jeune garçon de la place marchande, elles, lui déplaisaient fortement. C'est pourquoi il décida de ne pas donner suite à ses paroles, espérant que sa camarade ne jugerait pas l'information d'une trop haute importance.
─ Enfin, ça n'avait pas l'air si important, et ce n'est peut-être même pas lié à notre affaire
, se dérobe-t-il.
Le regard désabusé que la demoiselle lui renvoya l'obligea à fixer la route, afin de fuir son jugement. Mais heureusement pour lui, elle n'eut guère le temps de le pousser à parler, face au majestueux portail du manoir qui se dressait maintenant devant eux; l'occasion parfaite pour poursuivre sans se heurter à une question fâcheuse.
─ On y est, le manoir des Aveline... Ça se voit que plus personne ne met les pieds ici
, commente-t-il en constatant l'état déplorable de la résidence.
La nature semblait avoir repris ses droits. Les briques ternies des murs enrobés de lierres témoignaient de la vieillesse du bâtiment, au même titre que les mauvaises herbes qui avaient envahi les jardins, et même poussé au creux de quelques fentes murales; dans les recoins de la fontaine asséchée; dans les angles vicieux de chaque fenêtre. Certaines d'entre elles avaient des carreaux brisés, et les volets grinçaient légèrement au gré du vent. Svan observa le manoir quelques secondes durant, avant de reprendre la parole.
─ Excuse-moi un instant, s'il te plaît
, lâche-t-il avant de s'introduire sur la propriété en contournant l'entrée principale pour faire route vers l'arrière de la maison.
D'une démarche lente, Svan entreprit de faire le tour du bâtiment afin d'observer chaque fenêtre, à la recherche d'un quelconque signe capable de confirmer les dires du jeune garçon de la place marchande. Mais seuls des rideaux usés et déchirés çà et là se dressaient au devant de chaque carreau... A l'instar d'une fenêtre à l'étage. Lorsqu'il leva les yeux, le jeune homme aperçut tout d'abord ce qui lui parut être le bras d'un bambin. Mais il savait aussi bien que le village tout entier, que personne n'habitait cette demeure délabrée. Et si cette simple vision suffit à confirmer ses craintes, son sang ne fit qu'un tour lorsqu'il remarqua finalement le visage à moitié terré derrière le rideau, qui semblait le fixer... Droit dans les yeux.