Un bisous magique contre la PLS || Célania

Les yeux perdus dans le vague, pensées fuyantes, elle se tenait là, debout, portant son regard sur les meubles de la salle. La française avait bien espéré ne pas avoir à revenir dans l’infirmerie, seulement, les médecins qui avaient suivi sa guérison jusqu’ici en avaient décidés autrement. A contre-cœur, elle s’était donc présenté au rendez-vous qu’on lui avait donné et attendait à présent la personne qui devait vérifier l'état de ses plaies. Sans s’en rendre compte, la jeune femme laissa échapper un soupir. Vraiment, elle se serait bien passé de cette consultation inutile.

Après tout, elle avait bien d’autres choses à faire à cet instant. Partir en mission, prêter main-forte à ses camarades, froisser pour la dixième fois la lettre que Gwenaëlle avait laissée à son attention afin de la jeter pour ensuite culpabiliser et la poser à nouveau sur un meuble sous une pile de livres pour effacer les plis, comprendre les raisons de cette fuite… Bien trop de choses qui faisaient que cette halte à l’infirmerie était une réelle perte de temps.

La tirant de sa rêverie, la porte finit par s’ouvrir et Célania eut la surprise de constater que ce n’était non pas un adulte qui l'avait rejoint mais une toute jeune fille à laquelle la bleue n’aurait pas donné plus de treize ans. Ses traits semblaient encore candides mais ses yeux, eux, trahissaient la fatigue ainsi qu'une certaine volonté. L’épéiste fronça les sourcils, perplexe. Peut-être la blonde s’était-elle perdue ? Ou bien peut-être venait-elle l’informer que son rendez-vous avait été annulé ?

L’empêchant de se poser davantage de questions, la nouvelle venue prit la parole, expliquant par la même occasion la raison de sa présence.

-Bonjour Mme Vaillant. Je ne sais pas si on vous a dit, mais c’est moi qui vais m’occuper de vous. J’espère que ça ne vous dérange pas.

Un sourire joyeux vint accompagner ses mots alors que la surprise continuait de se lire sur le visage de l’Exorciste. La petite qui se trouvait en face d’elle lui paraissait bien trop jeune pour être infirmière. Trop jeune pour se trouver à la Congrégation… Et pourtant, c’était bien ainsi que la blonde s’était présenté.

Il fallut un instant à la française pour se ressaisir un minimum et adresser à son tour un sourire à son interlocutrice qui, elle l’espérait, semblerait convaincant. Car si, lors de derniers jours et aidé par la soirée de Noël, ses sourires avaient été sincères, depuis le départ précipité de son amie, cela n’avait plus été le cas.

-Bonjour… Tu…

Ses mots moururent sur ses lèvres. Devait-elle la tutoyer ou bien la vouvoyer ? Après tout, elle était une infirmière, une employée, à part entière. Seulement elle semblait si jeune… Trop pour que la jeune femme puisse se résoudre à la vouvoyer. Célania secoua alors doucement la tête, comme pour chasser toutes les interrogations qui hantaient son esprit et retrouver un minimum contenance, avant de s’adresser à nouveau à la blonde.

-Madame Vaillant, c’est ma mère. Tu peux m'appeler Célania.

A nouveau, la bleue lui sourit, tentant de paraître sympathique.

-A vrai dire, je n’en savais rien et ça ne me dérange absolument pas... Excuses-moi, tu dois entendre cette question tous les jours mais… Tu as quel âge ?

La française s’en doutait, la pauvre fille devait sans doute entendre des remarques sur son âge régulièrement. Toutefois, sa curiosité l’avait tout de même poussé à poser la question. Mais qu’importe la réponse, l’épéiste se doutait que si on avait envoyé la jeune fille s’était qu’elle était tout à fait capable de procéder au diagnostic.

-Comment… Comment tu t'appelle ?

Toujours légèrement gênée par la surprise déplacée dont elle avait fait preuve, la bleue songea un instant que cette visite pourrait être moins pénible qu’elle ne l’avait imaginé.

Devant son malaise flagrant, la jeune infirmière se retint de rire. Et malgré tous ses efforts ainsi que sa bonne volonté, son sourire amusé ne passa pas inaperçu. Mais fort heureusement, elle ne fit aucun commentaire et se contenta d’accepter la demande de la bleue.

Jusqu’à la dernière question de l’Exorciste où cette fois-ci, la jeune fille ne put retenir son amusement. Célania la regarda donc rire de bon cœur tandis qu’elle, se retrouvait gênée, encore une fois. Qu’avait-elle pu dire de si drôle ? A vrai dire, elle n’en avait aucune idée. En revanche, si elle était convaincue d’une chose après ces quelques paroles, c’était bien que la jeune fille était pleine d’assurance. Bien plus qu’elle, en réalité. Et dans un sens, cela ne fit que renforcer son malaise. L’espace d’une seconde, elle se trouva bien honteuse de se faire moquer ainsi par une personne plus jeune qu’elle.

Toutefois, la française ne le prit pas mal. Au contraire, l’assurance ainsi que le jeune âge de son interlocutrice lui rappelait quelqu’un qu’elle appréciait beaucoup. La blonde et Maxence se ressemblaient sur deux points de ce que la française pouvait en voir : toutes deux étaient fortes et autonomes. Et malgré le rire de la petite, penser à son amie instaura un léger voile de tristesse sur le visage de l’Exorciste. Et pour cause. La mission dans le Triangle des Bermudes lui avait pris beaucoup de temps et à présent, cela faisait plus d’un mois qu’elle n’avait pu se rendre à Paris. Pour cela, la française ne pouvait s’empêcher de s’en vouloir mais également de se poser de nombreuses questions. Maxence allait-elle bien ? Pensait-elle qu’elle avait rompu sa promesse ? Rien que pour cela, il fallait qu’elle guérisse vite…

Quoi qu’il en soit, devant son manque de réponse, la jeune fille tenta de s’expliquer.

-Je suis désolée, c’est juste que … Enfin laissez, ce n’est pas bien important. Je m’appelle Aesa et j’ai 11 ans. Et vous savez, je ne l’entends pas si souvent que ça, cette question. Les gens se contentent de voir que je suis une enfant. Ça leur suffit en général.

A nouveau, en entendant sa déclaration, Célania se sentit gênée. Elle regrettait presque d’avoir posé toutes ces questions à l’infirmière. Et son malaise ne fit que s’accentuer lorsque les mots d’Aesa lui donnèrent l’impression de converser avec une adulte et non une jeune fille. La blonde semblait avoir grandi bien trop vite mentalement et seul son physique trahissait son véritable âge. Peut-être était-ce de là que lui venait cette confiance en elle ? Quoi qu'il en soit, ce fût bien cela qui déstabilisa la bleue et qui entraîna à nouveau son silence. Ce qui força Aesa à reprendre la parole, haussant les épaules.

-Vous savez, vous n’avez pas à être gênée de quoi que ce soit. C’est normal d’avoir des questions.

Elle se voulait gentille. Ses mots, sa façon d’être l’étaient. Mais l’Exorciste n’en fût pas pour autant plus apaisée. C’était peut-être normal d’avoir des questions mais pas d'embarrasser les gens avec.

-Sans doute mais… Je ne voulais pas t’embêter avec des questions déplacées...

Fort heureusement, cela ne semblait pas être le cas de l’infirmière puisqu’elle reprit avec un air sérieux.

-On m’a dit que vous étiez là pour de vieilles blessures, c’est ça ?

En entendant la question, Célania se ressaisit vaguement. Après tout, c’était bien pour cela qu’elle avait rendez-vous aujourd’hui. Parce que, malgré les semaines écoulées et son autorisation de sortie, certaines de ses blessures continuaient de se faire pesantes.

-C’est ça… Elles ne sont plus graves et j’ai eu l’autorisation de quitter l’infirmerie mais certaines restent douloureuses… Parfois…

Parfois… Surtout et notamment lorsqu’elle n’était pas raisonnable et qu’elle se mettait en tête de s’entraîner. Mais cela, Aesa n’avait pas besoin de le savoir. Tout simplement car il s’agissait là d’autres tourments...

La blonde accueillit ses paroles d’un simple hochement de tête. Elle sembla réfléchir quelques instants avant de redresser la tête afin de questionner sa patiente, accompagnant ses propos d’un léger sourire.

-Vos blessures, elles sont arrivées quand ? Si vous ne vous en souvenez plus exactement, ce n’est pas grave ne vous inquiétez pas !

Le dépit traversa fugacement ses yeux bleus. La jeune fille n’avait pas d’inquiétude à avoir à ce sujet. Ses blessures, Célania savait parfaitement quand elles étaient apparus. D’ailleurs, elle se souvenait très bien de la faiblesse dont elle avait fait preuve ce fameux jour. Faiblesse qui avait conduit à la catastrophe aussi bien pour les autres que pour elle. Car entre sa semi-noyade et le Noé qui avait manqué de peu de la tuer, elle avait clairement échoué à remplir correctement son rôle. Non, la française n’avait pas oublié ce jour ; il marquait encore son esprit de ses sinistres images.

Ne la voyant pas répondre, Aesa reprit la parole.

-Pardon si ça vous rappelle de mauvais souvenirs, je ne voulais pas.

-Non, ça va, ne t’inquiète pas.

Elle s'efforça d’offrir un sourire à l’infirmière mais à l’instar de ceux des derniers jours, il était faux.

-J’ai été blessée pendant l’expédition en mer, dans le Triangle des Bermudes.

Sa déclaration ne comportait pas beaucoup de détail, rien qui n’aurait pu aider davantage la jeune fille et au fond, la bleue en était désolée. Mais comment pouvait-elle bien en dire plus quand le simple fait d’évoquer la bataille lui donnait envie de se terrer dans un coin afin de se faire oublier ?

Comme si elle avait compris son mal, Aesa attrapa doucement sa main et la serra, comme pour la rassurer. Mais tout ce qu’elle obtint de la part de l'Exorciste fût la surprise. Jamais Célania ne s’était attendu à un tel geste et encore moins d’une personne qu’elle ne connaissait pas. D’autant plus qu’elle percevait l’inquiétude de la blonde et que cela la mettait à nouveau mal à l’aise. Allait-elle comprendre que ses blessures n’étaient pas seulement physique ? La réponse s’imposa presque d’elle-même lorsqu’elle lui parla de sa fatigue.

Célania détourna le regard et en profita pour lâcher la main de la blonde. Elle ne souhaitait pas la vexer, loin de là, mais tout simplement, elle ne voulait pas se confier. La dernière fois qu’elle avait accepté de la faire, d’exposer ses faiblesses à quelqu’un, cette même-personne lui avait menti. Elle avait trahi tout le monde, elle l’avait trahi elle et sa fuite aussi bien précipitée qu’inattendue occupait -en plus de la dernière bataille- ses pensées, l’empêchant de trouver le sommeil.

Malgré les efforts que la jeune femme mettait en oeuvre pour cacher sa fatigue, Aesa avait vu juste. Mais il n’était pas question de parler de tout ceci. Elle réorienta donc le sujet comme elle put, essayant d’adresser un sourire confiant à la blonde.

-Non, rassures-toi, mes blessures ne posent pas de problème la nuit. C’est surtout lorsque je m’entraîne qu’elles se font sentir…

Les mots de l’Exorciste moururent sur ses lèvres au moment où elle se rendit compte de son erreur. Dire à une infirmière qu’elle continuait de s’entraîner alors qu’elle n'était pas encore rétablie était sans doute loin d’être une bonne idée. Alors, rapidement, Célania tenta de se reprendre afin de dédramatiser la situation.

-Enfin, heureusement, je ne m’entraîne pas souvent.

Elle lâche un rire un peu gêné, espérant qu’Aesa la croirait. Même s’il y avait très peu de chance pour que cela arrive.

Sa phrase était visiblement loin de réjouir la jeune infirmière. Ce qui, au vu de son travail était compréhensible. Après tout, la bleue faisait actuellement tout ce qui pouvait être déconseillé. Mais contrairement à ce qu’Aesa aurait pu penser, il ne s’agissait pas là d'inconscience ou de stupidité. Mais comment la petite pourrait-elle comprendre ce sentiment qui la poussait à agir ainsi alors qu’elle n’avait sans doute jamais mis les pieds sur un champ de bataille ?

Toutefois cela avait peu d’importance car de toute évidence, malgré sa tentative de dédramatiser la situation, la blonde n’avait pas apprécié d’apprendre la vérité. A présent, cette dernière affichait un air légèrement étrange. Un contraste presque inquiétant entre les traits serrés de son visage et la colère visible dans ses yeux. Cette expression, loin d’être rassurante, eu pour effet de mettre la française rapidement mal à l’aise, ne lui permettant pas de trouver les mots qui auraient pu désamorcer la colère de l’enfant.

-Pas souvent ? On s’en moque bien de la fréquence. Vous vous entraînez. Est-ce que…

Aussi étrange que cela puisse paraître, la voix de l’infirmière était plutôt calme et posée. Bien trop calme. Elle marqua une courte pause dans sa phrase, passant une main sur son visage avant de reprendre.

-Est-ce que vous vous rendez compte comme c’est stupide ? VOUS VOUS ENTRAINEZ.

Ne s’attendant absolument pas à un tel haussement de ton, Célania se figea immédiatement tandis que le malaise qu’elle ressentait augmentait considérablement. Jamais elle n’avait pensé se faire réprimander de la sorte par une enfant. Et pourtant, elle avait l’impression de se retrouver actuellement face à une véritable tempête. Alors elle restait là, regardant la petite faire les cent pas, trop abasourdie pour qu’un mot ne sorte de sa bouche.

Puis, sans prévenir, Aesa revint vers elle pour s'asseoir à ses côtés.

Immédiatement, l’Exorciste se figea, irrationnellement convaincue que la blonde allait en profiter pour lui sauter à la gorge. Mais contre toute attente, la jeune infirmière semblait être légèrement calmée.

-J’imagine que vous voulez être plus forte ? Ou alors vous cherchez à prouver quelque chose ? A vous racheter d’une faute ? Je ne sais pas. Et on s’en moque. Vous mettez votre vie en danger en faisant une chose pareille.

En entendant ces mots, Célania riva ses yeux sur ses bottes, ne souhaitant pas soutenir davantage le regard d’Aesa. Elle ne se doutait pas à quel point elle se trompait. Car si en vérité elle avait raison sur ses motivations, elle avait cependant faux lorsqu’elle déclarait que cela n’avait pas d’importance. Au contraire, ça en avait bien plus qu’elle ne pouvait l’imaginer. Toutefois, ne souhaitant pas affronter à nouveau la colère de la petite, la française ne préféra rien ajouter.

-Vous êtes sur le front, tout le temps, alors peut être que vous ne voyez rien d’autre que le combat. Mais ici, à l’arrière, on voit le reste. Et ce n’est pas beau. Ce n’est pas beau d’annoncer à une famille que leur proche est mort. Ce n’est pas beau de voir l’espoir s’éteindre à chaque décès. Ce n’est pas beau de se dire qu’on aurait pu vous sauver, qu’on aurait pu faire mieux.

Un léger sourire ironique apparut de nouveau sur le visage de Célania. Elle se doutait bien de tout cela. Elle se rendait bien compte que cette guerre n’était facile pour personne et que le travail d’Aesa n’était pas des plus simples, que cela devait être dur de vivre ainsi. Mais se rendait-elle compte de ce que les soldats qui étaient en première ligne vivaient ? Car si effectivement, annoncer la mort d’une personne ou être incapable de sauver un patient à l’article de la mort devait être traumatisant, voir ses amis tomber lors des combats était bien pire.

-Alors, si vous voulez aider la Congrégation, si vous voulez être vraiment utile pour cette Guerre, reposez-vous. Et laissez-moi vous soigner correctement. Après, vous pourrez retourner vous entraîner et vous battre et sauver des gens et tuer des Dragons. Mais pour l’instant, vous prenez soin de vous. Ou alors, je vais me fâcher tout rouge, non mais.

A cet instant, le rire de la jeune fille lui fit redresser la tête. Un peu surprise de ce changement de comportement, l’épéiste porta un regard curieux sur elle avant de remarquer les quelques larmes qui roulaient sur ses joues.

Cette rencontre lui échappait. Célania ne comprenait pas les réactions de la blonde. Pourquoi donc pleurait-elle ? Pourquoi donnait-elle l’impression d’être inquiète ? Il n’y avait pourtant pas de quoi l’être. Mais donner tort à la petite sur tout ce qu’elle venait de dire revenait à briser ses convictions. Et la bleue était loin d'en avoir l'envie. Si Aesa était heureuse en pensant cela, alors c’était bien ce qui comptait, après tout.

La française se força donc à lui adresser un petit sourire avant de reprendre la parole.

-Ne te fâche pas s’il te plaît, c’est déjà bien assez comme ça. Je suis désolée, je pensais que ce n’était pas si grave que ça. Je ferais attention à partir de maintenant.

Volontairement, elle ne fit pas de promesse. Car elle savait très bien que ses mots étaient faux. Mais c’était toujours mieux de mentir que de voir la jeune infirmière pleurer.

-Tu devrais essuyer ses vilaines larmes, je pense que tes patients préfèrent te voir sourire, non ?

Elle-même tenta de faire de même, se montrant le plus convaincante possible alors qu’une pensée ne la quittait pas : comme tous les enfants, Aesa était bien trop jeune pour être ici.

La française ne savait pas si Æsa croyait en ses mots ou non mais en réalité, cela n’avait pas d’importance. Tant que la jeune fille était rassurée, qu’elle ne pleurait plus, ses mensonges n’avaient pas d’importance. D’autant plus que Célania ne lui avait rien promis. Ne pas se tenir à ses déclarations n’était un réel problème. Et puis, après tout, même les promesses ne semblaient pas avoir tant d’importance ces derniers temps. Gwenaëlle lui en avait fait, des promesses. Pour en finalité, fuir en ne lui laissant qu’une vulgaire lettre. Penser à cela lui arracha un discret mais ironique sourire. Oui, Gwenaëlle s’était bien moquée d’elle…

Mais ce n’était pas là le sujet des remontrances d’Æsa. Et si la petite s’inquiétait un peu trop, lui reprochant presque ses blessures, dans un sens, elle n’avait pas tort : elle finirait par mettre sa vie en danger si elle continuait ainsi. Alors, peut-être, qu’elle ferait plus attention à l’avenir.

Du coin de l’oeil, la bleue aperçut la jeune fille essuyer ses yeux tout en fixant le sol et un sourire désolé apparut sur son visage. Faire pleurer une enfant n’était vraiment pas digne d’elle. Mais avec son comportement, sa façon de se faire plus adulte qu’elle ne l’est, Célania en était presque venue à oublier qu’au fond, ce n’était qu’une gamine sensible. Alors si Æsa devait faire attention à l'image qu’elle donnait en tant qu’infirmière, la française n’était pas en reste et devait prendre soin de ne pas faire pleurer sa cadette une fois de plus.

-Je suis désolée de vous avoir grondée, je n’aurais pas dû. Mais….

La blonde s’exprimait tout bas, comme une enfant qui regrettait son geste et qui s’excusait comme elle le pouvait. En la voyant faire, la française voulut poser une main sur son épaule, pour la consoler, lui dire que ce n’était pas grave, mais elle suspendit son geste. Peut-être que la réconforter ainsi la vexerait. Après tout, Æsa faisait tout pour se comporter comme une adulte. Son geste pourrait très bien être mal perçu. Décidément, la bleue n’avait aucune idée de comment se comporter avec l’infirmière. C’était une situation plutôt complexe. Peut-être autant pour elle que pour Æsa… D’ailleurs, cela attisait sa curiosité ; pourquoi avoir choisi une telle situation ?

-Mais une vie, c’est très important. Et on ne peut pas jouer avec comme ça. dit-elle en se remettant sur pied. J’imagine que vous savez déjà tout ça, excusez-moi. Alors, montrez-moi ces blessures qui osent encore faire mal.

Ce soudain changement de comportement étonna à nouveau Célania. En quelques secondes, la jeune fille semblait être une tout autre personne. C’était comme si elle avait enfermé son véritable âge dans un coffre à jouets et qu’à présent, elle prenait son rôle d’infirmière au sérieux. Et cette façon de faire continuait d’intriguer l’Exorciste. Pourquoi donc la jeune fille vivait-elle ainsi alors qu’elle n’avait aucune obligation de le faire ? Alors, curieuse, la bleue se décida enfin à lui poser la question.

-Æsa…

L’hésitation la saisie un bref instant. Ce n’était peut-être pas le genre de question que l’on pouvait poser à une personne que l’on venait tout juste de rencontrer, après tout… Mais l’infirmière n’allait tout de même pas lui passer un deuxième savon, n’est-pas ?

-C’est peut-être un peu déplacé mais… Je me demandais… Pourquoi est-ce que tu es ici ? Je veux dire, pourquoi est-ce que tu es à la Congrégation, à être infirmière, malgré ton jeune âge ?

Elle avait surement mieux à faire, non ? Peut-être même une famille qui l’attendait quelque part ?

Célania s’en rendait bien compte, elle n’aurait pas dû poser cette question. Les raisons et les choix qui avaient poussé la blonde à en arriver là ne la regardaient nullement, après tout. Mais cela l’avait intrigué, et sa curiosité avait fini par prendre le dessus sur la bienséance. Mais à présent qu’un sourire triste ornait le visage de la petite demoiselle, la bleue regrettait fortement ce qu’elle venait de faire.

Pourtant, Æsa prit tout de même la peine de lui répondre, alors que rien ne l’obligeait à le faire.

-Infirmière, c’est le seul moyen que j’ai pour être vraiment utile. Je … Je ne dis pas que les personnes qui font le ménage ou la cuisine ne sont pas utiles. Mais ici, je … Je sais que je fais quelque chose de bien, que je fais ce qu’il faut. Je sais que j’aide les gens comme vous à gagner la guerre.

Alors c’était ça. Tout comme elle, la jeune fille aspirait à aider, à être utile, même si cela était loin d’être facile tous les jours. A l’infirmerie, les blessures, le sang, les larmes, la douleur, la mort devaient être une sorte d’horrifique routine si l’on pouvait dire, rendant sans aucun doute les nuits des gens qui y travaillaient aussi difficiles que celles des personnes qui combattaient au front. Et malgré cela, Æsa était toujours là.

-Oh et je suis à la Congrégation car mon Papa est exorciste. Vous le connaissez peut-être, il est grand avec les cheveux pâles et il s’appelle Sirius. Il est un peu discret, mais il n’est pas méchant.

Les paroles de la blonde surprirent l’épéiste. Ainsi, son père était Exorciste lui aussi. Voilà qui expliquait bien des choses. Si la petite se voulait utile, il ne faisait aucun doute que sa présence à la Congrégation s’était faite par un fâcheux concours de circonstances. D’autant plus que le père de la petite infirmière n’était pas n’importe qui. Car si Célania avait du mal à fixer un visage sur ce nom, elle savait tout de même que cette personne faisait partie de la même unité qu'elle. Mais c’était bien tout ce qu’elle savait sur lui. De son côté, Æsa rit légèrement avant de reprendre la parole.

-D’ailleurs, je crois bien qu’il aurait besoin de connaître des de gens gentils comme vous.

A nouveau, la petite surpris Célania. “Des gens gentils comme elle” ? Était-ce là l’impression qu’elle donnait ? Peut-être… Mais à vrai dire, la française se voyait plus comme un poids pour les autres. Alors elle ne préférait pas rencontrer cet homme si important pour la demoiselle. Ce dernier se porterait bien mieux en ne faisant pas sa connaissance.

-Il est ma seule famille, alors si vous le connaissez, prenez soin de lui s’il vous plaît.

Æsa sourit, légèrement gênée, comme en témoignaient ses joues tandis que la bleue ne la comprenait pas vraiment. La jeune fille lui parlait comme si elles se connaissaient depuis un moment déjà, se confiant à elle alors qu’elle-même ne lui avait rien dit sur son compte. C’était un peu bizarre… Mais attendrissant. Aussi, Célania lui adressa également un sourire, dans l’espoir que la blonde se sente moins gênée.

-Je ne pense pas que ton papa ait besoin de connaître des personnes comme moi mais… Si tu veux tout savoir, je le connais seulement de nom. Nous sommes dans la même unité mais je n’ai jamais eu l’occasion de le croiser.

Maintenant qu’elle y réfléchissait, si Célania connaissait la plupart des Exorcistes composant son unité, certains noms ne reflétaient qu’un visage flou dans son esprit, faute de les côtoyer régulièrement ou même de les rencontrer. Mais à ce moment, cela importait peu et la bleue s’empressa de reprendre la parole, adressant un regard attendri à son interlocutrice.  

-En tout cas, ton papa a de la chance d’avoir une fille comme toi !

Après tout, ce n’était pas donné à tout le monde d’être aussi mature et sérieux que la jeune infirmière.

N’ayant pas l’effet escompté, les mots de la bleue firent rougir la jeune femme et la mirent visiblement mal à l’aise.

-C’est gentil, merci, bredouilla-t-elle.

Sans attendre, la blonde reprit la parole, tentant ainsi de changer le sujet de leur conversation et l’Exorciste la laissa faire. Après tout, elle ne connaissait pas assez bien Æsa, et encore moins son père, pour s’initier dans leur vie privée de cette façon. Et même si elle lui avait dit qu’elle la trouvait courageuse et sérieuse, ses mots ne semblaient pas l’avoir atteinte.

Mais étonnamment, Célania ne se faisait pas de soucis de ce côté-là ; elle était convaincue qu’une autre personne y parviendrait à sa place. Après tout, la jolie blonde était trop gentille pour s’attirer les foudres de qui que ce soit.

-Est-ce que vous voulez manger quelque chose ?

La française lui lança un regard interrogateur. Manger quelque chose ? Il lui semblait que ce n’était ni l’endroit ni le moment. D’autant plus qu’elle n’était pas venu dans ce but. La question la surprenait grandement et la prenait de court. Heureusement, Æsa finit par donner une raison à cette étrange demande.

-Je me dis que comme vous avez dû m’attendre, vous avez peut-être soif maintenant. Et aussi, je vais vous donner quelque chose pour la douleur, mais le mieux c’est de le prendre en mangeant. Ce n’est pas vraiment l’heure pour un repas, mais on peut faire un goûter si vous voulez. Ou prendre le thé en l’occurrence.

Célania réfléchit l’espace d’un instant. Elle n’avait pas spécialement faim mais la douleur infligeait par ses blessures étaient pénibles. Elle l’empêchait de s’entraîner convenablement, de retourner en mission, de soutenir ses camarades et surtout, de faire croire facilement à tout le monde qu’elle allait bien. Alors il lui semblait évidemment qu’elle devait prendre ces médicaments.

-Eh bien, s’il faut les prendre en mangeant alors faisons comme ça. C’est toi l’infirmière après tout.

Æsa lui adressa un nouveau sourire.

-Et aussi ... Contrairement à ce que vous semblez penser, vous êtes quelqu'un de gentil, Célania. Faites moi confiance sur ce point.

La française baissa à nouveau la tête, légèrement gênée. Elle n’aimait vraiment pas que l’on parle d’elle, encore plus lorsqu’il s’agissait de lui adresser des prétendues qualités. Elle n’était pas plus gentille qu’un autre, juste peut-être plus effacée.

-Est-ce que tu peux faire ça ? Prendre un goûter ici avec un patient… J’imagine que tu ne fais pas ça tous les jours, si ?

Sans aucun doute la petite allait-elle se mettre rapidement à l’ouvrage. Alors, presque aussitôt, la bleue reprit la parole.

-Tu veux de l’aide ?

Elle n’allait pas la laisser tout préparer seule tout de même.

Avec entrain, Æsa lui confirma que sa petite absence ne poserait aucun souci, que ce soit auprès de ses collègues ou bien dans son travail. Tout comme elle lui confirma qu’elle ne prenait pas régulièrement ce genre de liberté. Ainsi, le française trouva quelque peu étrange la proposition de la jeune infirmière et se demanda pourquoi elle lui soumettait cette idée. Peut-être la petite blonde souhaitait-elle simplement prendre une pause dans tout ce chaos qu’était l’infirmerie.

-Oh non, ne vous inquiétez pas ! Je n’ai pas grand-chose à ranger ici, ça va même pas me prendre une minute. Et si vous m’accompagniez jusqu’au réfectoire pour aller piquer tu thé, autant s’installer là-bas directement plutôt que de faire l’aller/retour. C’est comme vous préférez ! Si on quitte l’infirmerie, je dois juste prévenir mon équipe, qu’ils ne me cherchent pas partout.

Æsa avait raison. Il valait mieux se rendre directement au réfectoire pour prendre un goûter plutôt que de revenir avec de la nourriture ici. D’autant plus qu’avec un peu de chance, les deux jeunes femmes pourraient peut-être croiser des personnes qu’elles connaissaient. Ça ne pouvait qu’être une sortie positive.

Seulement, il y avait comme une ombre à ce tableau. Une ombre dans son cœur. Prendre ainsi un goûter, avec une jeune fille qu’elle venait tout juste de rencontrer lui rappelait bien trop Maxence, cette amie qu’elle avait rencontrée par un sacré concours de circonstances dans les rues de Paris.

Régulièrement, Célania était retournée la voir, entre deux missions, sans que personne ne l’apprenne. Mais depuis sa dernière mission, avec les blessures qu’elle avait subies, elle n’avait pas eu le temps de la retrouver pour prendre de ses nouvelles. Intérieurement, la bleue espérait que tout se passait bien pour cet enfant des rues, malgré le froid de l’hiver.

D’un coup, Æsa la tira de ses pensées, reprenant la parole alors qu’elle avait déjà terminé de tout ranger.

-Et voilà, tout est sa place ! Vous voulez faire quoi du coup ?

-Allons au réfectoire. Ça nous changera les idées et nous dégourdira les jambes !

Et puis, être dans un autre environnement que l’infirmerie pourrait être agréable. L’Exorciste attendit que la jeune fille prévienne quelques personnes qu’elle s’absentait avant de la rejoindre. Ensemble, elles prirent la direction du réfectoire, croisant quelques personnes bien occupées dans les couloirs. Une fois arrivée sur place, Célania commanda un thé avant de se tourner vers Æsa.

-Qu’est-ce que tu veux commander ?

-Je vais prendre un jus d’orange, s’il vous plaît. Et j’ai cru apercevoir de la tarte à la citrouille en arrivant, j’en prendrais bien une part !

Tout comme elle, la blonde passa commande et elles ne tardèrent pas à être servis au vu du peu de monde qui se trouvait au réfectoire à cette heure tardive. Les deux femmes s’installèrent ensuite à une table, profitant du calme pour oublier les difficultés des derniers jours.

Une fois assise, la bleue prit sa tasse de thé entre ses mains, pensive. De quoi allaient-elles bien pouvoir discuter à présent ? En y réfléchissant, c’était peut-être un peu étrange d’avoir accepté de passer du temps avec une personne qu’elle ne connaissait pas. Elle qui n’était pas une grande extravertie, bien qu’elle aimait échanger avec ses amis, elle regrettait légèrement de se trouver ici. Le silence s’installa entre les deux femmes et Célania ne trouvait rien à dire pour relancer la conversation. Heureusement, ce fût la petite infirmière qui reprit la parole.

-J’ai vu dans votre dossier que vous veniez de France. C’est comment par chez vous ? J’ai vu des photos et des dessins dans les livres, mais jamais en vrai.

L’épéiste fut légèrement surprise pour la question. Jamais elle n’aurait pensé qu’Æsa aurait retenu une information comme celle-ci étant donné qu’elle était particulièrement inutile. Toutefois, c’était là une opportunité de briser le silence et de ne pas rendre cette situation inconfortable.

-C’est beau… Enfin, je ne suis sans doute pas objective vu que j’ai grandi là-bas mais j’aime beaucoup les paysages qu’on y trouve.

Elle fit une pause, portant la tasse à ses lèvres, et bu une gorgée de thé. Cela faisait du bien de se détendre de temps à autre et de ne pas penser à ce qui les attendrait le lendemain.

-Et toi, Æsa ? D’où est-ce que tu viens ? J’avoue n’en avoir aucune idée malgré ton prénom...

Bien que le prénom soit beau et atypique, la jeune femme ne parvenait pas à deviner d’où il pouvait provenir, n’étant pas familière avec les différentes sonorités du monde. Et pour ne rien arranger, son prénom semblait plutôt original...