[QUETE] Soif de sang

 
Tu aurais du partir d'ici, tu le savais. Tu n'avais plus rien à faire ici, au contraire. Tu t'étais fait remarquer, bien trop. Tu avais fait du bruit, tu avais fait des dégâts, tu avais utilisé ton innocence, tu t'étais battu.
Avec lui.
Avec lui, avec Yuki - et le simple fait de prononcer son prénom te laissait un goût amer en bouche.
Parce que tu sais, Akira. Que ce jour-là - ne dis pas ça, c'était pas plus tard qu'hier après tout - tu avais failli recommencer. Que tu avais failli refaire l'irréparable - ce que tu as déjà fait. Que tu avais failli tout détruire - comme si tu n'avais pas détruit assez. Que tu as cassé tous tes beaux discours de rédemption et de vengeance, que tu as flanché dans ta détermination et ta mission - mais quelle mission ?
Au fond, tu le sais, Akira.
Tu n'as pas de mission - avoue le, c'est des conneries.
Ta véritable mission.
Ce serait d'en finir.

Tu n'étais pas rentré tout de suite, prétextant des blessures trop importantes pour te déplacer jusqu'à l'Arche. Tu n'étais pas rentré - parce que tu ne pouvais pas rentrer comme ça.
Pas comme ça après ce que tu venais de faire, pas comme ça alors que peut-être tu dois achever ta mission ici.

-Désolé... J'ai encore merdé.

Tu étais retourné devant la tombe de ta sœur, la même devant laquelle vous vous êtes retrouvés - la même devant laquelle vous vous êtes battus.

-Ça devient une habitude, maintenant que tu es partie, tu sais ? Quoique... Non, ça a toujours été une habitude.

Et tu ris, un rire sans aucune joie.
C'est vrai. Tu as toujours merdé. Et tu merdes encore toujours plus.
Au fond, qu'est ce que tu as fait, de ta misérable petite vie ? A part détruire celle des autres ? Qu'est ce que tu as accompli, que tu n'as pas toi-même détruit ?
Rien.

-Tu sais, ça serait plus facile, si tu étais revenue pour me hurler dessus. Me dire que c'est ma faute, que je mérite d'avoir été exécuté. Que tout ce que je fais, ça ne sert à rien.

Car au moins, tu n'aurais pas hésité - à faire tout ce mal.
Car au moins, tu l'aurais laissé finir le travail.

-Mais j'ai compris maintenant. Je…
-Nakamura ? Répondez, Nakamura.

Ah. Évidemment, ils n'allaient pas te lâcher. L'Ordre allait être très contrarié - et suspicieux - si tu trainais de la patte comme ça.
Tu soupires, ne répondant pas tout de suite.

-Nakamura, répondez !

Toujours, il faut qu'ils t'interrompent. Toujours, ils te noieront un peu plus pour que tu sombres.

-Quoi ?
-Revenez au QG immédiatement, c'est un ordre.
-J'ai dit que je n'étais pas encore en état de…
-Nous avons repéré l'activité de Noés proche de votre position. Fuyez immédiatement.

Ah... T'ont-ils entendu ? Sont-ils venus pour en finir avec toi ? Yuki les a t-il envoyés pour qu'ils en finissent avec toi ?
Tu ne peux pas lui en vouloir.
Ah... Une fin bien cocasse, pour toi.

-Nakamura. Il n'est pas question que vous leur cédiez votre innocence. Vous avez une mission à remplir. Et nous vous attendons.

Ah oui, la mission. Ils commencent décidément à te connaître. Ils savent que le moyen de te tenir debout et de dénuder tes crocs, c'est par la pression de la responsabilité, certainement pas par considération pour ta propre vie.
Tu ris. Des Noés venus t'achever ? Tu doutes franchement de pouvoir t'enfuir avant qu'ils ne te repèrent.
Alors, venez. Aujourd'hui encore, tu vas te battre comme le monstre que tu es.
Tu n'es bon qu'à ça, Akira.

 
Tu le sais avant même de te retourner.
Ils sont là.
Le bruit des talons raisonne dans ce silence de mort. Jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent, à, semble-t-il, une dizaine de mètres de toi.
Alors ils sont venus te chercher jusqu’ici ? Jusqu’ici, alors que c’est ici qu’elle repose ? Jusqu’ici alors que tu t’es promis que plus jamais tu ne t’y battrais ? Jusqu’ici alors que tu as fait couler le sang – ton sang – pas plus tard qu’hier ?
Jusqu’ici. C’est peut-être le bon endroit pour mourir, après tout. Jusqu’ici. Ça t’irait parfaitement, tu ne trouves pas, Akira ?

-Ah … Akira Nakamura, je ne me trompe pas ? Je vois que vous êtes en plein recueillement, je vous en prie finissez. Nous pouvons attendre que vous ayez fini. Après tout, qui sait ce qu’il se passera à la fin, n’est-ce pas ?

« Qui sait ce qu’il se passera à la fin ».
Haha. C’est vrai. Personne ne sait ce qui se passera, ici. Après tout, c’est ici, que tu as pris ta première vie. C’est ici, que tu as brisé ta promesse – celle de ne plus faire couler le sang des tiens. C’est ici, que tu aurais voulu en finir – ton tombeau t’attend déjà.
Quelle belle fin que celle-ci. Finir là où tout a commencé – ici.

Un rire t’échappe. Un rire sans aucune émotion reconnaissable – tant elles sont mélangées, contradictoires, mais cohérentes dans leur folie. C’est bizarre, Akira. Personne à la Congrégation ne peut affirmer t’avoir vu vraiment rire – aucun rire de joie depuis ce qu’il s’est passé, ici. Seul en plein combat, en pleine folie, ce rire ressurgit.
Seulement lorsque tu luttes pour ne pas mourir, tu vis.
Alors, est ce que tu les laisseras te retirer cette étincelle, aujourd’hui ?

-Qui sait, oui…

Tu te retournes enfin vers tes ennemis – car ils le sont, ça ne fait aucun doute.
La première, tu ne la reconnais pas. Petite, cheveux courts, vêtements bizarres. Tu n’y prêtes pas plus attention – de toute façon, l’un d’entre vous mourra aujourd’hui, alors à quoi bon.
La deuxième en revanche, elle te dit quelque chose.
Il te faut un certain temps avant que tu ne te souviennes de cette vie qui a cessé depuis un moment, déjà . De fouiller dans ces souvenirs que tu aurais parfois voulu oublier. De retrouver des visages qui, tu l’espères, te croient disparu à jamais.
Tu aurais voulu ne pas t’en rappeler. Ne pas réaliser que devant toi, il y a un fragment de ton passé. Ne pas réaliser que, depuis tout ce temps.
Cette machine n’avait fait qu’interpréter une comédie macabre.

-Avez-vous retrouvé vos couleurs, Monsieur Nakamura ?

Tous tes muscles se tendent, alors que tu te souviens de toute votre conversation. De cette journée fort embarrassante – de cette journée totalement innocente. De cette vie que tu croyais totalement innocente.
Ha. Comme tu étais naïf, à cette époque. Tu n’avais absolument pas conscience qu’à côté de toi, il y avait une femme qui avait tué bien plus d’enfants qu’elle n’en éduquait.

-C’est une blague ?

Emi Mac Dubghaill. Cette enseignante innocente, à l’air mélancolique, qui prétendait vouloir protéger les enfants et se dédier à sa profession. Cette même enseignante faisait partie de ceux qui tuaient ces mêmes enfants pour voir grandir leurs machines ?
Cette fois, ton rire est bien plus nerveux.
Ce monde était une vaste blague.

-Depuis tout ce temps ? Vous faisiez SEMBLANT !? Vous mentiez ouvertement, en prétendant protéger des enfants ? Pour quoi, pour plus facilement les tuer, ensuite ?

Le monde entier devait vraiment se foutre de ta gueule.
D’abord, ton propre frère devient Noé. Ensuite, ta sœur périt de ta propre main. Et même une personne innocente qui a fait partie de ta vie revient pour te maudire.
Peut-être que tu devrais céder. Peut-être que c’est toi, le parasite, peut-être que c’est toi qui vient les ruiner, pas l’inverse. Peut être que tu devrais faire couler le sang des Nakamura à nouveau, dans ce cimetière.
Mais à chaque fois que ces pensées t’envahissent, les paroles de Central viennent rembobiner. Viennent te rappeler que tu ne mérites pas de partir simplement, si facilement, pas après ce que tu as fait.
Alors, comme à chaque fois dans ces moments là – quand c’est trop difficile de penser.
Tu laisses le Monstre s’exprimer. Tu agis sans réfléchir – tu te permets de vivre avant de mourir.

-J’imagine que les vôtres, vous les volez à ces enfants que vous soi-disant « protégez » ?

Tu en avais presque oublié la présence de l’autre ennemie. De toute façon, elle est une gêne, tu l’élimineras aussi.
Déjà, ton innocence était activée. Un éclat était passé dans tes yeux, tandis que des crocs te poussaient. Tu viens prendre dans ta poche une fiole de sang que tu viens briser. C’est l’avant dernière qu’il te reste - le combat contre Yuki a diminué tes ressources. Confiant, tu viens te rapprocher du duo, sur tes gardes, prêt à attaquer à tout instant, alors que ta main droite s’était déjà pourvue de griffes de sang.

-Vous voulez voir, « Madame Mac Dubghaill » ? Ce que ça fait, de perdre toutes ses couleurs ?

Finalement, Akira.
Ce n’est pas aujourd’hui que tu te rendras.