Ces derniers jours avaient été... heureux. Epanouissant. Cela faisait bien longtemps que je n'avais plus connu cette sensation, celle de se sentir "bien". Quand les choses se déroulaient sans ennuis, quand je me levais presque impatient de connaître cette journée, quand les moments de pensées ne me plongeaient pas dans de noires idées. La première fois depuis l'accident, peut-être bien… Même la rencontre avec Emy n'avait pas été la même sensation. Quelque chose de plus grisant, et angoissant en même temps. Bonheur de l'avoir rencontrée, peur de la perdre. Rien de serein.
Maintenant, c'était différent. L'explosion avait eu le temps de s'apaiser, ne laissant qu'une crainte quotidienne et quelques miettes de bonheur. Sauf depuis quelques jours… depuis ce goûter avec elle, ou nous nous sommes ouverts nos cœurs.
J'avais appris au moins deux choses terriblement importantes, ce jour-là. D'abord, que la source du problème entre nous ne venait pas de ce que j'étais, ni entièrement de ce que j'avais fait, mais était plutôt… la communication. Nous avions des façons de ressentir et de nous exprimer terriblement différentes, et quand on ne comprenait pas l'autre… même la meilleure volonté du monde pouvait conduire à de nouvelles blessures. Et depuis, je faisais attention à ne pas avoir recours qu'aux mots, et comprendre sa propre façon de s'exprimer. Et le résultat était sensible…
Et puis, la deuxième leçon, c'était que je ne pouvais pas reprendre la façon de m'éduquer qu'avaient adoptée mes parents. Bien entendu, ils avaient été de merveilleux tuteurs, et ma gratitude pour eux était sans limite, mais… la situation, ici, était trop différente. A vrai dire, peu de modèles éducatifs prévoyaient un père célibataire, et encore moins avec une fille adoptée à un âge aussi avancé et avec de si mauvaises bases. Il me fallait donc avancer à l'aveuglette, pas après pas, erreur après leçon… et j'allais y arriver.
Et mon espoir semblait se concrétiser : les choses se passaient mieux. Une des conséquences visibles, c'était qu'Emy faisait moins de bêtises. Un moyen pour elle, je l'avais compris, de manifester sa colère, mais aussi sa tristesse, sa peur.
Aussi, j'avais décidé de profiter de mon passage à Paris pour lui acheter un encouragement à continuer. J'avais songé un moment qu'elle pourrait y voir une récompense à m'accepter un peu plus… sans savoir si j'en avais envie ou non, et si c'était une bonne chose ou non. Un amour acheté ne donnait qu'une relation hypocrite et malsaine, ne tenant qu'artificiellement, sur des fondations d'argent… mais nous en étions loin avec un simple cadeau, et cela ne pouvait pas être mauvais qu'elle s'ouvre à moi. Pour moi, mais aussi pour elle !
Plus ou moins convaincu que ce cadeau serait une bonne idée – mais une chose que j'avais apprise bien vite, c'était qu'il n'y avait aucune certitude dans ce rôle –, j'errais dans les rues marchandes de la Capitale. J'avais fini mon concert, et le prochain train ne passerait pas avant quelques heures : j'avais largement le temps. Tant mieux : s'il n'était pas difficile de trouver un cadeau capable de ravir une enfant de cet âge, j'avais envie de faire mieux que choisir la première bricole venue. Dans cette ville immense, je doutais de ne pas trouver la perle rare…
Et, après une heure de recherche, je la vis. Dans une vitrine de jouets pour enfants… un papillon en peluche. Grand, la moitié de la taille de l'enfant. Et paré de ses couleurs préférées, quand il s'agissait de peluche : des couleurs lumineuses, telle que le beige.
Mon cœur fit un bond en le voyant : c'était exactement ce qu'il fallait ! Et le sac que j'avais prévu était juste assez grand pour le contenir ; bien que si ce n'eut pas été le cas, j'aurais quand même sauté sur l'occasion, quitte à le porter à la main pendant des heures. Alors, je pénétrai dans le magasin. Par chance, il n'y avait pas une grande file : juste une enfant, seule. Elle avait d'étranges cheveux, d'ailleurs… mais dans Paris, ce ne serait pas le premier élément singulier. Parfait…
Ou peut-être que non. Car je vis avec effroi le commerçant aller à la vitrine pour saisir mon ex-futur-achat, et le donner à la fillette. Que... Peste ! Quelles étaient les chances que cela arrive, bon sang ? J'étais tenté de croire à un mauvais coup du sort, mais je n'avais jamais cru au destin. Je n'avais pas pour habitude de baisser les bras facilement… J'allais convaincre l'enfant de me revendre son bien, et cela n'allait pas être compliqué : j'étais prêt à payer dix fois le prix auquel elle l'avait acheté s'il le fallait, et elle semblait suffisamment âgé que pour comprendre la valeur de l'argent et ce qu'elle pourrait s'acheter avec. Les enfants étaient parfois si têtus !
Quand elle sortit, je la suivis, et l'abordai :
Enfin. Je n'étais pas là pour me lamenter du sort d'autrui. Des petits miséreux, il y en avait partout, et encore plus dans la capitale. Et ce n'était pas mon problème.
Espérons, car dans l'autre cas...
La partie ne sera pas facile.
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