Depuis combien de temps je (...)
Du fond de sa cellule, Bonnie attend — comme la veille, comme le jour d’avant et comme tous les autres jours passés et à venir. Elle n’attend rien en particulier, simplement que la journée — est-ce seulement encore (déjà) le jour ? Elle n’a plus aucune notion du temps depuis qu’elle est ici — se passe et que la prochaine vienne la chasser, la remplacer et se passer exactement de la même façon. La peur qui lui tordait l’estomac et l’appréhension qui lui faisait redouter les (tortures) sont parti depuis longtemps maintenant, seul un sentiment d’une grande lassitude (quelque chose comme de la fatalité et de la résignation et de l’acceptation (on n’échappe pas aux destins (impurs))) demeure au fond de ses yeux éteints.
Son corps meurtri est maintenu debout par des chaines fixées à ses bras, et l’on a pris la précaution inutile de lier ses pieds — ce n’est pas comme si elle pouvait s’échapper de toute façon, les corbeaux ont brisé les os de ses quatre membres.
La douleur ?
elle ne (res)sent plus rien
pas de colère ni de haine ni de rage ni rien de ce genre
pas d’envie de revanche de quelque façon que ce soit
elle n’a pas l’impression que tout cela est injuste ou terrible
tout cela est
simplement — cela est.
à vrai dire il reste bien un peu de peur
logée au creux de son cœur
pas pour elle ou ce qui pourrait bien lui arriver
peur pour eux
et ce qui finira probablement par leur arriver.
(si Adam l’apprenait alors...)
Elle avait essayé de les prévenir, pourtant — elle les avait supplié de la relâcher supplié de la laisser partir supplié de ne pas lui faire de mal (nous supplier ne changera pas ton sort, gamine. ...non, vous n’y êtes pas... comment ça ? ce n’est pas le mien que j’essaye de changer... (s’il l’apprenait alors (...))) et pour toute réponse ils lui avaient murmuré quelque chose à propos de sorts restrictifs et de barrière protectrice qui empêchaient les descendants de Noé de localiser l’endroit où elle était retenue prisonnière — elle même n’était même pas sûre de savoir où elle se trouvait mais avait fini par s’en faire une vague idée en assemblant les morceaux de discussions qui raisonnaient parfois dans les couloirs de Central.
Depuis combien de temps je (...)
Bonnie ouvre les yeux — combien de temps s’est-elle assoupi ? (est-ce que le jour s’est levé ? Le chant des oiseaux et le remous des vagues ou simplement le souffle du vent — c’est quelque chose qu’elle aimerait pouvoir entendre à ce moment précis (entendre autre chose que le tumulte du silence et de l’absence et du vide qu’a laissé Amorem depuis que les corbeaux l’on scellée)) un bruit cependant attire son attention — l’écho de pas agités et pressés et inquiets qui traversent les couloirs à toute allure (l’écho de soldats qui partent à la guerre).
Bonnie lève péniblement la tête
elle connaît bien ce sentiment
c’est inhabituel ici
(ici les soldats ne se battent pas on les fabrique seulement)
quelque chose de terrible est en train de se passer
si elle est soulagée ?
elle est terrifiée (horrifiée (désespérée))
quelque chose de terrible va se produire
et elle ne pourra pas l’arrêter.