INTRIGUE — chapitre VII

On frappe à la porte, dérangeant la tranquillité de Cassidy qui gît assise sur son siège à contempler les flammes de sa cheminée. Elle donne la permission au gêneur d’entrer dans le salon de son manoir et à lui indiquer la raison de ce dérangement aussi soudain. Il s’agit d’un de ses sbires, il s’agit d’une de ses oreilles qui entend des choses que la Duchesse ne peut pas faire à cause de son travail acharné à servir la Reine d’Angleterre. Fumant sa cigarette, caressant la tête de son loup domestique qui montre ses crocs sur le pion de Cassie, l’homme dévoile ce qu’il a vu, ce qu’il a entendu. Au début, la Noah ne le croit pas, se mettant à rire, se moquant de ce misérable qui au final lui fait perdre son temps. La bourgeoise demande plus de précisions sur l’information émit de son sbire et notamment sur une description physique d’une personne en particulière. Au final, la révélation semble bien vraie à tel point que la cigarette de l’albinos tombe de ses lèvres pour s’écrouler lourdement sur le plancher. Instinctivement, sa botte écrase sa drogue pour éteindre le bout enflammé. Pas de temps à perdre, si les paroles du gaillard sont vraies, si l’événement vient de se dérouler il y a de cela plusieurs jours, le Comte Millénaire doit être averti, de toute urgence.

Il ne faut pas longtemps pour que la Révolte arrive à l’Arche de Noah. Elle se presse de rejoindre le Comte, elle bouscule les servants Akuma se trouvant sur son chemin, cette dernière tente de contenir la colère qui bouillonne en elle pour éviter que son Souvenir se réveille de son lourd sommeil réparateur. Les portes de la salle à manger sont ouvertes, le Faiseur est assis en bout de table à réaliser son petit tricot quotidien sans se soucier qu’un terrible problème vient de se dérouler dans un petit village isolé. Elle contourne la table, retire ses lunettes de vue pour faire disparaître le rouge de ses billes afin de le remplacer par sa nouvelle nature ; le doré des Noah.

« Nous avons un problème, Prince. » dit-elle d’une voix inquiète et tremblante de rage.

Le Comte Millénaire arrête son tricot, dépose sa création qui est un bonnet en laine sur la table et écoute attentivement la révélation sortant des lèvres de la Révolte…

Quand Mordred avait appris la nouvelle, elle l’avait aussitôt prévenu — c’est une des raisons pour lesquelles Adam savait pouvoir compter sur la Révolte en dépit de tout. D’après ses dires, Mordred elle-même tenait l’information d’un des nombreux hommes de main avec qui elle avait des contacts réguliers à travers le monde — ça ne faisait que renforcer l’importance des brookers au sein du clan Noé.

Suite à cela, Adam n’avait pas perdu de temps. Il avait chargé Wisely — qui ne quittait plus si souvent son chevet à présent, avait-il remarqué — de contacter le reste des apôtres et de leur demander d’emprunter un portail de l’Arche pour le rejoindre au plus vite. La plupart avait répondu à l’appel, en dépit de quelques absences notables et inexpliquées (cela constituait un autre problème qu’il allait falloir rapidement adresser), et pour cause : tous savaient que le Comte Millénaire n’était pas (assez) regardant sur les agissements de ses apôtres, et sur les vies (parfois terriblement humaines) qu’ils menaient à l’extérieur de l’Arche. Alors, lorsqu’il sommait les siens de venir le retrouver, et particulièrement lorsqu’il passait par Wisely plutôt que d’envoyer quelques akumas se charger de la tâche, c’est qu’il s’agissait forcément de quelque chose d’important.

La plupart du temps, cela concernait l’Innocence qui était apparue aux Bermudes, et qui ne cessait de leur échapper depuis lors — cette Innocence qu’il soupçonnait d’être le Cœur, et sur laquelle il devait absolument mettre la main avant l’Ordre Noir (et, surtout : avant Apocryphos).

La plupart du temps, mais pas cette fois.

Cette fois, il s’agissait de quelque chose de bien plus personnel — et, par conséquent, d’impardonnable. Impardonnable parce que l’Ordre Noir s’attaquait directement au clan Noé, alors même que ces derniers (pour une raison qu’il ignorait (qu’il faisait semblant d’ignorer (qu’il faisait semblant de ne pas comprendre parce qu’il ne voulait pas la comprendre (il l’avait compris depuis le début (Neah, toujours))))) continuaient de tolérer que les exorcistes ne cessent de marcher leurs plate-bandes dans la course à l’Innocence. Impardonnable parce que cela survenait quelques mois à peine après la catastrophe d’Édimbourg qui, si elle n’avait pas causé de perte parmi les leurs, s’était soldée par un (nouvel) échec cuisant et difficile à avaler. Impardonnable parce qu’ils avaient brisé l’accord tacite d’une trêve — le temps de se remettre des récents événements.


« Ces maudits exorcistes nous ont enlevé Bonnie, » inutile de tourner autour du pot — chaque seconde compte, s’ils veulent sauver leur sœur. Il sait (espère (anticipe (prévoit))) aussi que l’hôte de Feilen n’a pas besoin d’en entendre plus, et c’est précisément ce qu’il attend. « Des agents de Central l’ont enlevée sous les yeux d’un pion de Cassidy — elle est sûrement retenue prisonnière là-bas. L’idée de la savoir entre les mains de ces faux prophètes... » une lueur un peu folle allume son regard, mais Adam garde son sang froid. « L’Innocence... non, l’Ordre Noir est allé trop loin, cette fois, et nous cause des ennuis depuis trop longtemps. Nous avons été patients... mais l’heure est venue d’en finir une bonne fois pour toutes. »

La salle est silencieuse — ce n’est plus Adam qui parle, mais bien le Comte Millénaire ; dont le sourire terrible sied particulièrement bien à la folie qui fait trembler sa voix.

« L’Innocence a affaiblit son propre camp, à Édimbourg, hihi... nous allons profiter de leur faiblesse pour leur donner le coup de grâce, » reprend-t-il, « ... en les frappant au cœur. Mes chers apôtres... nous allons envahir leur quartier général et en finir pour de bon. Ils ne s’en relèveront pas une deuxième fois. »

L’ordre est donné, et vous vous mettez en route immédiatement.

non, le boss n’allait pas être content (évidemment mais enfin c’est elle aussi à quoi est-ce que ?)
Lora tremblait un peu (ce n’était pas qu’elle avait peur de sa réaction c’est parce que à travers d’elle il y avait
la fureur de Cyclamën
la colère de Cyclamën
l’inquiétude de Cyclamën
(non, le boss n’allait pas être content (Bonnie — Lora avait mis sa main devant sa bouche, doucement, choquée))
ces maudits
exorcistes
non, le boss n’allait pas être content, définitivement et Lora tremblait à l’idée de devoir être celle qui allait le lui annoncer elle tremblait par anticipation à
la fureur de Cyclamën
la colère de Cyclamën
l’inquiétude de Cyclamën
Cyclamën ne se déplaçait plus quand le Comte appelait, il envoyait l’une des autres parties de lui-même (la colère la colère la colère tout noir tout noir)
(une Encre) et évidemment
Lora était la plus à même pour cette tâche, elle et sa division résonnante
le petit lutin s’était donc rassemblé avec les autres Noés et
il avait écouté avec les autres Noés (sans voir que visiblement il en manquait une) et
il avait vibré de colère et de rage et n’avait pas attendu la suite
et maintenant il courait dans les couloirs
il passe dans un premier portail et
disparaît
Sylaë
Sylaë serait quoi faire
enfin
c’est ce qu’espère Lora
elle a toujours été plus tempérée que Cyclamën
comprendre ici
(elle n’a jamais particulièrement apprécié la descendante de l’Amour)
enfin
voilà
ces maudits exorcistes.


Un vieux temple dans l’Himalaya — les prêtres sont des brookers, tous sous la projection du souvenir du Regret. Pourquoi est-ce que Sylaë aime se rendre ici ? Maintenant que Cyclamën est de retour et qu’il les autorise à parcourir le monde à leur guise, à vrai dire, la première des Encres ne sait pas vraiment ce qu’elle veut et désire. Souvent, elle vient ici, comme ça : elle fixe le vide et les montages, et boit du thé chaud avec le grand prêtre. C’est Rift, agitée, qui la réveille de sa méditation — le golem a repéré quelque chose. La première à tomber ne relève pas, elle détecte la signature du texte de Lora — Sylaë apprécie Lora, elle a du répondant et un esprit habile et amusant — qui approche (enfin, un morceau de Lora qui approche, cette dernière a cette fâcheuse manie de disperser des morceaux d’elle-même un peu partout) et garde les yeux fermés. Au bout d’un instant de silence, Sylaë relève un œil pour fixer le petit lutin doré qui lui fait face sans un bruit et avec visiblement la position d’un objet qui a couru — pour peu qu’une des extensions de la Dorée en soit capable — il sonne et grelotte avec alarme, et d’une petite main pointue, touche la peau de Sylaë.

transmission transcendante
la première parmi les Encres se lève, les yeux écarquillés, alors qu’instinctivement sa peau se grise et que ses orbites prennent cette couleur dorée si caractéristique (les croix déchirent sa peau et fronce ses sourcils la colère la colère baveuse et noire comme le charbon déchiré)
effectivement
Cyclamën ne va pas être content
effectivement
et Sylaë de mettre Lora sur son épaule, et d’à son tour rentrer dans le portail
cela va être terrible
triste et sanglant.


Norvège, dans une petite librairie à Oslo — Cyclamën repose délicatement le livre qu’il tenait dans l’étagère où le livre a été pris avant de poser ses yeux rubiconds sur les deux moitiés de lui-même qui le regardent avec crainte et appréhension et colère et fureur et inquiétude (la grande Sylaë avec ses cheveux gris et ses dents pointues, la petite Lora avec son œil bleu et son oeil or et fissuré). la colère la colère la colère la colère mais. Mais le regard de Cyclamën n’est pas terrible ou affreux — il n’exprime rien, il est froid comme le jour le plus froid de l’hiver — il est vide il est vide il est (il n’y a pas de doutes possible, il n’y a pas de doutes possibles vieux frère, Cassidy est formelle et le Comte… que m’importe le Comte je… nous y allons alors ? évidemment que nous y allons tu sais ce que cela signifie vieux frère tu sais que (Cyclamën avait jeté un regard à son double féminin qu’il l’avait complètement rendu muette un regard qui ne souffrait pas de contradiction ou de répliques un regard qui voulait tout dire un regard qui signifiait et l’inquiétude et la colère et la peur surtout la peur et la tristesse et le futur et le passé un regard qui voulait simplement dire qu’il allait aller la chercher et que c’était comme ça et qu’il la ramènerait ou détruirait le monde en essayant))) vide la colère la colère la colère.

une aiguille ou un pôle
montre ce que je veux trouver montre ce dont j’ai besoin
le Regret savait où aller chercher
l’aiguille le lui montrerait
les morceaux de lui dispersé dans le monde s’activaient déjà à remplir les missions et les préparatifs
les Encres partaient en guerre
le Regret va frapper le monde et les morceaux d’humains avec (tremblez la colère la colère la colère)
(rendez la moi)
écrasez vos os (i don’t feel sad)
écourtez vos vies ( i don’t feel miserable or angry)
déchirez vos membres (i don’t feel good or bad)
réduire à vos esprits à néant (no)
tremblez.


now, i feel nothing

Un sourire aux lèvres, il avance dans les couloirs de la Congrégation, saluant joyeusement ceux qui croisent son chemin. Un hochement de tête, un clin d’œil ou un simple mouvement de main, le grand intendant n’ignore personne, s’arrêtant même pour bavasser avec certains et prendre les dernières nouvelles — oh, on ne doute pas que sa secrétaire appréciera le geste (et son retard (ou plutôt son absence injustifiée (sa disparition mystérieuse (un bonheur sans nom)))).

Plusieurs semaines sont passées depuis l’Écosse et les blessures ont finalement pu se refermer. Ce fut difficile mais l’ordre noir a su apprendre de ses erreurs, mettant tout en œuvre pour que l’après Bermudes ne se reproduise pas une nouvelle fois. Soutien psychologiques, missions mieux réparties, temps de repos imposés et tant d’autres solutions encore, adaptées autant que faire se peut à leurs soldats. S’ils doivent sauver le monde et répondre à chacune des attaques du Comte, l’Ordre ne pouvaient pour autant se permettre de nouvelles trahisons en ses rangs.

Alors les choses se sont améliorées, même si tout n’est pas encore parfait. Les hommes continuent de tomber, les batailles ne sont toutes remportées ; mais ils se donnent du mal et, surtout, ils le font ensembles. Tous se serrent les coudes et restent vigilants: le moindre signe est relevé — parfois surinterprété — et alors les dirigeants répondent présents.

La Congrégation n’a jamais été aussi saine, aussi soudée, aussi à l’écoute des siens. Les visages sont plus détendus, souriants et de nouvelles idées et solutions sont trouvées chaque jours pour aider à remporter cette guerre. Les entraînements se font avec plus d’ardeur que jamais, les renseignements sont plus précis. L’Ordre Noir reprend des forces, regagne en fierté et en assurance et tous sont confiants : ils ne tarderont pas à gagner cette Guerre.

Alors oui, l’espoir est revenu, les sourires sont de retour et le Grand Intendant lui-même s’égare dans les couloirs pour observer cette joie retrouvée.

Personne n’aurait pu se douter de ce qui allait arriver.

Depuis combien de temps je (...)

Du fond de sa cellule, Bonnie attend — comme la veille, comme le jour d’avant et comme tous les autres jours passés et à venir. Elle n’attend rien en particulier, simplement que la journée — est-ce seulement encore (déjà) le jour ? Elle n’a plus aucune notion du temps depuis qu’elle est ici — se passe et que la prochaine vienne la chasser, la remplacer et se passer exactement de la même façon. La peur qui lui tordait l’estomac et l’appréhension qui lui faisait redouter les (tortures) sont parti depuis longtemps maintenant, seul un sentiment d’une grande lassitude (quelque chose comme de la fatalité et de la résignation et de l’acceptation (on n’échappe pas aux destins (impurs))) demeure au fond de ses yeux éteints.

Son corps meurtri est maintenu debout par des chaines fixées à ses bras, et l’on a pris la précaution inutile de lier ses pieds — ce n’est pas comme si elle pouvait s’échapper de toute façon, les corbeaux ont brisé les os de ses quatre membres.

La douleur ?
elle ne (res)sent plus rien
pas de colère ni de haine ni de rage ni rien de ce genre
pas d’envie de revanche de quelque façon que ce soit
elle n’a pas l’impression que tout cela est injuste ou terrible
tout cela est
simplement — cela est.
à vrai dire il reste bien un peu de peur
logée au creux de son cœur
pas pour elle ou ce qui pourrait bien lui arriver
peur pour eux
et ce qui finira probablement par leur arriver.
(si Adam l’apprenait alors...)

Elle avait essayé de les prévenir, pourtant — elle les avait supplié de la relâcher supplié de la laisser partir supplié de ne pas lui faire de mal (nous supplier ne changera pas ton sort, gamine. ...non, vous n’y êtes pas... comment ça ? ce n’est pas le mien que j’essaye de changer... (s’il l’apprenait alors (...))) et pour toute réponse ils lui avaient murmuré quelque chose à propos de sorts restrictifs et de barrière protectrice qui empêchaient les descendants de Noé de localiser l’endroit où elle était retenue prisonnière — elle même n’était même pas sûre de savoir où elle se trouvait mais avait fini par s’en faire une vague idée en assemblant les morceaux de discussions qui raisonnaient parfois dans les couloirs de Central.

Depuis combien de temps je (...)

Bonnie ouvre les yeux — combien de temps s’est-elle assoupi ? (est-ce que le jour s’est levé ? Le chant des oiseaux et le remous des vagues ou simplement le souffle du vent — c’est quelque chose qu’elle aimerait pouvoir entendre à ce moment précis (entendre autre chose que le tumulte du silence et de l’absence et du vide qu’a laissé Amorem depuis que les corbeaux l’on scellée)) un bruit cependant attire son attention — l’écho de pas agités et pressés et inquiets qui traversent les couloirs à toute allure (l’écho de soldats qui partent à la guerre).

Bonnie lève péniblement la tête
elle connaît bien ce sentiment
c’est inhabituel ici
(ici les soldats ne se battent pas on les fabrique seulement)
quelque chose de terrible est en train de se passer
si elle est soulagée ?
elle est terrifiée (horrifiée (désespérée))
quelque chose de terrible est en train de se produire
et elle ne pourra pas l’arrêter.

Une colère — une rage puissante (une rancœur grandissante)) — tout était né d’une colère. Des mots, des gestes, des foules qui se rassemblent, des peurs qui naissent, des questions qui se posent et des réponses (toujours plus de réponses) qui sont données et des secrets (toujours plus de secrets) qui sont dévoilés.

Tout cela était venu d’un seul homme — d’une seule colère (d’une seule trahison) — avant de se répandre comme une traînée de poudre. Une longue mèche n’attendant qu’une allumette pour l’allumer et exploser, détruisant tout sur son passage — et vous, surtout (oh oui, vous surtout (traîtres)).

Une homme (une traînée de poudre (une mèche allumée)) qu’il vous faut maintenant trouver alors que vous foulez du pied la petite ville allemande. Autour de vous les visages sont méfiants, les regards noirs et cernés — les nuits sont courtes lorsqu’on découvre une Guerre Secrète — les mots sont durs, clamés haut et forts, et les poings sont serrés, attendant le moindre signe, la moindre petite étincelle pour (exploser) reprendre leur vie en main — lorsqu’ils n’attrapent pas les cols des vestes pour demander des (comptes) réponses.

Un homme (un ancien soldat (une ombre)) qui sait se cacher et ne vous laissera pas l’attraper.
Mais est-ce là votre but ?

N’êtes vous pas là pour l’arrêter, simplement ?
N’êtes vous pas là pour calmer la situation, aussi ?
N’êtes vous pas là pour votre intérêt personnel, parfois ?
N’êtes vous pas là, au fond, pour réparer l’erreur d’un autre.

Marche à suivre

Marche à suivre