Et le temps avait passé. Trop lentement pour que l’horreur de ce jour ne soit plus qu’un vague souvenir, trop vite pour vous laisser le temps d’oublier. Et la guerre se moquait bien des choses abîmées (des machines cassées des cœurs brisés des âmes qui se courbent et de tous les laissés-pour-compte) qu’elle engendrait sur son passage — elle se contentait de prendre et de prendre encore, comme un monstre d’appétit qui n’était jamais rassasié (et le temps avait passé (dévoré lui aussi)).
Tout avait commencé comme cela commence toujours : une rumeur, quelques ragots colportés ci et là, de toutes petites graines dispersées à travers le monde. Rien d’inquiétant, rien d’impressionnant (mais rien ne l’était jamais au début (les tempêtes les ouragans les volcans les raz-de-marées les séismes ou la fin d’un monde commençaient toujours par quelque chose d’insignifiant (une goutte de pluie (une feuille emportée par le vent (un tremblement (les battements d’ailes d’un papillon (une rancœur))))))) enfin — personne n’y avait prêté attention. Et la petite graine avait eu le temps de germer, d’enfoncer ses racines sous les terres allemandes — d’abord petite pousse, puis mauvaise herbe, c’est lorsque les branches de l’arbre avaient gratté à vos portes que vous aviez réalisé l’étendue de sa ramure (et cet arbre invisible était autrement plus pernicieux que celui qui avait détruit le Vatican).
Sasha — puisqu’il ne pouvait s’agir que de lui, bien que vous n’en aviez pas encore la confirmation — avait entreprit de révéler les secrets de la Guerre Sainte au plus grand nombre : d’abord au sein d’une petite bourgade allemande, son discours s’était répandu comme une traînée de poudre — si bien qu’il n’avait pas tardé à arriver jusqu’aux oreilles d’Adelheid, qui s’était empressée d’en tenir informé le Prince.
Qu’il s’agisse de l’Ordre Noir ou du clan Noé, tous étaient d’accord : le vent de panique semé par le sorcier et les révélations qu’il avait à faire mettaient à mal leurs objectifs respectifs. Sasha devait être arrêté (mis hors d’état de nuire (peu importe ce que cela impliquait, désormais)).
Ainsi tout recommençait : une mauvaise graine que de trop nombreux regrets avaient abreuvée, une tragédie, et vous (qui ne saviez plus vraiment pourquoi (pour qui (contre qui)) vous vous battiez).